La Gloire Et Les Périls
profonde joie que ce propos me donnait. Mais,
ajoutai-je, comme je me sens, en l’absence de Madame de Brézolles, responsable
non seulement des sûretés de son château, mais en général de tout ce qui se
passe céans, je vous prierais, Madame, de consentir à faire ce que je veux.
— Monsieur le Comte, dit Madame de Bazimont, fort
heureuse que je prisse tant de gants pour la commander, je vous prie de me
croire toute dévouée à vos ordres.
Là-dessus, elle se leva non sans mal de sa chaire à bras et
commandant au page de prendre un chandelier, elle s’appuya sur son épaule et me
précéda à pas menus jusqu’à l’étage noble, puis monta, non sans quelque lenteur
et essoufflement, les marches plus rudes qui menaient au second étage où était
logé le domestique. Le bruit qu’à nous trois nous faisions amena quelques
portes à s’entrebâiller, montrant à dextre et à senestre quelques minois de
chambrières, mais Madame de Bazimont ayant dit d’un ton plus maternel que
menaçant : « Allons ! Les filles ! Allons ! »,
les têtes disparurent en un battement de cils, mais une fois l’huis reclos, je
gage que les oreilles restèrent collées à la serrure.
Madame de Bazimont toqua à la dernière porte du passage, et
sans attendre l’entrant, l’ouvrit, et laissant passer le page et moi, elle
demeura sur le seuil, pressant sur sa bouche un mouchoir de dentelles.
La chambrette était proprette, mais froidureuse assez, n’y
ayant pas le moindre feu de foyer et pas de foyer pour faire le feu. Quant à
Luc, je lui trouvai le teint un peu rouge et, à y porter la main, le front un
peu chaud, mais les membres non trémulants. Je lui demandai de se découvrir et
quand je le vis nu en sa natureté, je fus fort soulagé de ne découvrir aucun
bubon de peste sur sa peau.
— Eh bien, Luc, dis-je, tu n’es pas si mal allant.
— L’opinez-vous ainsi, Monsieur le Comte ? dit Luc
qui se voyait déjà au grabat et quasiment aux portes de la mort.
— Je ne le crois pas ! je le vois. As-tu
faim ?
— Oui-da, Monsieur le Comte, quelque peu, mais d’ordre
du médecin, on ne me donne miette.
— Et soif aussi peut-être ?
— En effet, Monsieur le Comte.
— As-tu froid ? dis-je, observant qu’il n’avait
sur son lit qu’une couverture de cheval.
— Oui-da, Monsieur le Comte, quelque peu. Il vient un
air bien tracasseux par le carreau cassé de ma fenêtre.
— Madame, dis-je en me tournant vers Madame de
Bazimont, voici ce que nous allons faire : nous allons bailler à Luc une
bonne soupe de légumes matin et soir et nous allons commencer incontinent.
— Mais, dit Madame de Bazimont, le médecin l’a défendu.
— Nous passerons outre à ses défenses, dis-je d’un ton
sévère. Luc recevra, en outre, une tisane chaude trois fois par jour. Et dès ce
soir, il faudra sans tant languir une couverture en supplément de celle-ci et
remplacer dès ce jour son carreau cassé, ne fut-ce que par un carton.
— Mais, c’est Luc qui l’a cassé, dit Madame de Bazimont
d’un air justicier, et il n’a qu’à s’en prendre à lui-même, s’il a pris froid.
— Il en a été assez puni, dis-je. Madame, à tout péché
miséricorde !
— Monsieur le Comte, dit Madame de Bazimont avec un
soupir de coquetterie, je ne voudrais pas que vous pensiez que je suis
impiteuse.
— M’amie, dis-je, du ton le plus doux, je suis bien
certain que vous êtes tout le rebours.
Ce « M’amie », prononcé devant Luc et le page,
combla d’aise Madame de Bazimont.
— Je vais, repris-je, bailler à Luc un peu de la
« poudre des jésuites », laquelle abaissera la fièvre et demain, si
elle persiste, je demanderai au révérend docteur médecin Fogacer, chanoine de
Notre-Dame de Paris, de venir visiter notre mal-allant.
— Un chanoine ! s’écria Madame de Bazimont, et en
outre, un médecin ! Mais il le faudra payer gros !
— Fi donc ! Madame ! Vous ne connaissez pas
le chanoine Fogacer ! Il ne vous demandera que des prières.
— Oh pour cela, je lui en donnerai tout son
plein ! dit Madame de Bazimont ! Un chanoine ! Et un chanoine
médecin !
À ce moment, j’aperçus, se cachant derrière le
demi-vertu-gadin de Madame de Bazimont, la fraîche et mutine face de Perrette.
— Que fais-tu céans, Perrette ? dis-je avec la
grosse voix.
— Monsieur le Comte, dit-elle sans du tout s’émouvoir
(sachant déjà jusqu’où elle pouvait aller avec
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