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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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le lieu était « très
mauvais », qu’on y vivait dans une boue perpétuelle, que le climat était
exécrable, l’air humide et pourri et, à la vérité, qu’il ne pouvait plus le
souffrir, que tout cela le tuait…
    Ce qu’il ne disait point, mais qui était vrai tout autant,
c’est qu’il regrettait Paris, son Louvre, ses belles salles, les vues qu’elles
donnaient sur la Seine, et aussi sa guitare, ses dessins, la musique qu’il composait,
et par-dessus tout, ses chasses, ses merveilleuses chasses, dans les forêts de
Fontainebleau, de Rambouillet ou dans la garenne du Peq [34] où l’on trouvait cerfs aussi bien
que lapins.
    Malcontent, il tournait à l’aigre. Il reprochait tout à
tous, gourmandait ses maréchaux pour de très petites fautes, tabustait son
entourage, et au cardinal même faisait la mine.
    Quand, après avoir fait peser sur Richelieu et sur moi ce
silence déquiétant, Louis parla enfin, ce fut pour me dire du ton le plus
brusque :
    — Eh bien, d’Orbieu ? Qu’attendez-vous ?
Parlez !
    C’était là une apostrophe à vous geler le bec. Il m’appelait
froidureusement « d’Orbieu » et non chaleureusement «  Sioac » comme il était depuis l’enfance accoutumé. Et il me reprochait de ne parler
point, alors même qu’il ne m’avait pas baillé la parole.
    Ici, Richelieu, sans m’envisager le moindre, poussa un petit
soupir, comme pour me faire entendre que je n’étais pas le seul à pâtir de
l’humeur du roi et il fit un petit signe de tête comme pour m’encourager à
parler.
    — Eh quoi ! Mon cousin ! dit Louis aigrement.
Vous branlez du chef ! Vous sentez-vous trop vieil ou trop mal allant pour
soutenir ce siège plus longtemps ?
    — Nullement, Sire, dit Richelieu avec une humilité tout
évangélique. Je me porte, grâce à Dieu, tolérablement bien. Et si le siège,
comme celui de Troie, devait durer dix ans, et que ce soit votre commandement
de le poursuivre, je ne laisserais pas d’y obéir.
    À cela Louis ne répondit mot ni miette et, se tournant vers
moi, me dit d’un ton fort picanier :
    — Et vous, d’Orbieu, êtes-vous céans pour être envisagé
ou pour être ouï ?
    — Sire, pour être ouï. Et puisque vous me l’ordonnez,
voici ce que je pense de la digue que Votre Majesté fait construire de
Coureille à Chef de Baie.
    — Je la connais, dit Louis avec humeur. J’y ai
travaillé de mes mains. Si je n’y travaille plus, c’est qu’il fait si mauvais
temps. Ce n’est pas une description de la digue que je veux, d’Orbieu. C’est
votre sentiment sur son utilité. Et au plus bref que vous pouvez.
    — En bref, Sire, la digue, quoique fort bien conçue et
fort bien construite, est soumise à deux aléas. Le premier, le voici : si
les Anglais attaquent avant le printemps, elle ne sera pas finie.
    — Peux-je dire un mot, Sire ? dit Richelieu
humblement.
    — Je vous ois.
    — Je suis prêt, Sire, à prendre la gageure que les
Anglais n’attaqueront pas avant le printemps. Pour trois raisons. Primo  :
les Anglais ont deux grandes qualités : ils sont vaillants et tenaces. Secundo  :
ils ont aussi un grand défaut : ils sont lents. Tertio  : ils
n’ont plus un seul sol vaillant et il leur faudra tout racler et cela prendra
du temps pour mettre sur pied une nouvelle armada.
    — D’Orbieu, dit le roi, quel est le second aléa ?
    — Nous sommes, Sire, au milieu de l’hiver, et une forte
tempête d’hiver peut détruire partie, ou totalité, de la digue à tout moment.
Peux-je, Sire, ajouter aux constatations que je viens de faire une conclusion
qui n’est pas de mon cru, mais du roi votre père ?
    — Est-ce un bon mot ? demanda Louis avec quelque
défiance. Il y en a tant qu’on lui prête et qui ne sont pas de lui ! D’où
tenez-vous celui-là ?
    — Sire, ce n’est pas un bon mot, c’est une maxime. Et
je la tiens du marquis de Siorac qui l’a ouïe de ses oreilles.
    — La source est bonne. Continuez.
    — À Sully qui critiquait un de ses plans de campagne,
le roi votre père répliqua : « Cela est vrai, mais à la guerre, on ne
peut que jeter beaucoup de choses au hasard. »
    — Et Dieu sait, dit Louis, si avec cette digue il en
faut jeter !
    Et disant cela, se peut parce que j’avais évoqué le souvenir
de son père – son héros et son modèle –, il dit sur un ton beaucoup
plus amène :
    — Merci, Sioac. J’ai eu raison de faire
confiance à ton jugement.
    Et

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