La grande déesse
l’homme, le mâle, serait plongé dans les ténèbres puisqu’elle-même représente le soleil. En fait, le croissant de lune au-dessus de la tête d’Artémis représente l’homme, le fils-amant Adonis, Attis ou Dumuzi, dont la Déesse est la maîtresse et sans laquelle il ne peut vivre plus de vingt-huit jours, tel le Tristan de la légende celtique, qui mourrait s’il n’avait pas de rapports physiques tous les mois avec Iseut la Blonde, incarnation des forces solaires.
Il semble que le plus ancien temple dédié à l’Artémis primitive soit celui de Vravona, sur la côte orientale de l’Attique, à une quarantaine de kilomètres d’Athènes. Le sanctuaire comporte une partie datant à peu près de 1300 avant notre ère et, auprès d’une source sacrée, une structure actuellement en ruine passait pour être la tombe d’Iphigénie. Le caractère archaïque du culte rendu ici à Artémis est explicité par une tradition qui replace la déesse dans ses fonctions de maîtresse des animaux sauvages. On raconte en effet qu’Artémis, furieuse parce qu’un mortel avait tué un de ses ours, avait demandé en compensation aux Athéniens d’envoyer leurs petites filles à son sanctuaire. Ces filles, âgées de cinq à dix ans, étaient appelées artoi , c’est-à-dire « ours » : de fait, elles devaient imiter les animaux sacrés pendant une cérémonie qui comportait une « danse des ours ». L’étymologie du nom d’Artémis, qui est pourtant discutée, ne peut ici faire aucun doute : elle est la déesse-ourse.
Il y a d’innombrables temples en l’honneur d’Artémis, en Grèce continentale, en Sicile et en Italie du Sud qui constituaient ce qu’on appelle la grande Grèce, et dans les îles de la mer Égée. Mais à Délos, elle voisine avec les autres déesses : Héra, protectrice de la famille et de la maternité, Déméter, qui est l’autre visage de Gaïa, et Aphrodite, la déesse-sanglier, donc la grande prêtresse assurant le lien entre le visible et l’invisible, ce qui est symbolisé par l’amour, la beauté, le désir sexuel. Les Grecs ont privilégié leurs représentations d’Aphrodite, la plus connue étant la très célèbre Vénus de Milo, parce que cette divinité correspondait parfaitement à leur volonté de faire coïncider la beauté extérieure avec la bonté intérieure, ce qui s’exprime remarquablement par la formule kalos k’agathos , « beau et bon ». Mais cette volonté de perfection ne se heurte jamais à la moindre idée de culpabilité : Aphrodite est « amorale » en ce sens que la sexualité n’est ni bonne ni mauvaise et qu’elle fait partie intégrante de l’humain. Et, à Délos, on peut se persuader que les divers noms donnés à la déesse ne sont que des regards spécifiques sur une unique Déesse.
Celle-ci demeure la préhistorique Gaia dont l’ombre rôde toujours sur Delphes, pourtant sanctuaire marqué par Apollon vainqueur du serpent Pythôn. Cette fable du dieu céleste vainqueur d’un être tellurique quelque peu diabolisé explique le passage d’un culte féminin à un culte masculin, et marque le renversement de polarité qui s’est produit dans les spéculations intellectuelles des peuples méditerranéens à un moment de l’histoire, probablement à l’âge du bronze. Mais, de même que la Déesse des Commencements surgit à l’intérieur du christianisme sous les traits de la Vierge Marie, la Gaia des temps obscurs est toujours la maîtresse de Delphes, nombril du monde, où la volonté divine est révélée par une prêtresse qui a conservé le nom de la serpente, puisqu’elle s’appelle la Pythie. Le monde grec a consacré le triomphe de l’homme sur la femme, c’est évident, mais la femme demeure très puissante dans l’inconscient, et surtout omniprésente dans les cultes rendus à la divinité.
L’exemple d’Éleusis est certainement le plus significatif à cet égard. Ce n’est pas l’unique sanctuaire dédié à Déméter, mais c’est celui qui traduit le mieux l’attitude grecque face à la féminité divine. Dans le panthéon olympien, Déméter occupe une place à part. Elle est donc fille de Kronos et de Rhéa, mais elle rassemble en elle toutes les caractéristiques de l’aïeule Gaia et son nom signifie très exactement déesse mère . D’après le mythe, elle a eu une fille, on ne sait de qui – car elle peut être considérée comme vierge –, qui a nom Korè, « jeune fille », ou
Weitere Kostenlose Bücher