La grande guerre chimique : 1914-1918
allemande.
Toutefois, si l’on considère les capacités industrielles et techniques des
industries chimiques françaises et britanniques à l’aube du conflit, force est
de constater le remarquable effort accompli par les Alliés dans ce domaine.
Il importe également de noter que l’utilisation de l’arme
chimique devint sans cesse plus importante à mesure que le conflit avançait.
Si, en 1915, 3 600 t de substances chimiques (soit 4 % du total)
furent utilisées par l’ensemble des protagonistes, ce chiffre s’éleva à 15 000
en 1916 (13 %), 35 000 en 1917 (31 %), et enfin à 59 000 t
en 1918 (52 % des substances chimiques utilisées pendant la guerre). On
constate que les onze derniers mois du conflit représentèrent, en tonnage, plus
de la moitié du tonnage total.
La concentration quantitative des hostilités chimiques sur
les derniers mois du conflit explique largement le fait que, si l’on considère
l’ensemble de la guerre, l’arme chimique ne joua, en volume, qu’un rôle mineur.
De fait, sur les 1 389 millions d’obus tirés entre août 1914 et
novembre 1918, seuls 66 millions étaient chimiques, soit seulement 4,6 % [773] . Cependant, ce
chiffre atteignit près de 15 % au cours des onze derniers mois du conflit.
L’artillerie allemande tira, à elle seule, 50 % des
munitions chimiques consommées au cours de la guerre par les belligérants. Si l’on
excepte les États-Unis, qui ne participèrent au conflit que dans sa dernière
année alors que les armes chimiques étaient utilisées extensivement, les 33 millions
de munitions chimiques tirées par les Allemands représentèrent 6,4 % de la
consommation totale en projectiles d’artillerie des forces armées allemandes,
ce qui, en termes relatifs, place l’Allemagne loin devant la France (4,6 %),
la Russie (4,2 %), l’Autriche-Hongrie (2,9 %), l’Italie (2,7 %)
et la Grande-Bretagne (2,2 %) [774] .
Ces chiffres sont d’ailleurs corroborés par les données
statistiques des tonnages d’agents utilisés par les artilleries des
belligérants.
Enfin, si les premiers mois de la guerre chimique furent
marqués par la technique des nuées dérivantes, l’artillerie devint
progressivement le principal vecteur de dissémination des agents chimiques.
Lors des trois derniers mois du conflit, près de la totalité des agents
toxiques utilisés sur le champ de bataille était délivrée par l’artillerie.
En définitive, si la guerre chimique débuta effectivement en
1915, elle ne prit une réelle ampleur qu’au cours des vingt derniers mois du
conflit, pendant lesquels on assista à une intensification extraordinaire des
hostilités marquée par l’essor puis l’hégémonie de l’artillerie aux dépens des
autres vecteurs de dissémination chimique.
Le bilan humain des hostilités chimiques
L’une des questions les plus disputées, car parmi les plus
délicates à élucider, demeure celle du bilan humain des hostilités chimiques.
La plupart des auteurs qui évoquent cette question reprennent sans véritable
examen critique les chiffres avancés dans les ouvrages respectifs de Harry
Gilchrist et Augustin Prentiss. Cependant, et malgré la qualité des études
menées par ces deux experts anglo-saxons sur certains aspects de la guerre
chimique, ces estimations semblent prêter le flanc à la critique [775] .
Incontestablement, les meilleurs travaux réalisés sur l’évaluation du bilan
humain de la guerre chimique entre 1914 et 1918 sont ceux de l’historien
britannique d’origine allemande, Ludwig Friedrich Haber [776] . C’est donc à la
lumière de sa remarquable étude ainsi que de mes recherches propres que je vais
tenter de traiter cette question. La difficulté d’évaluer le nombre des
victimes de l’arme chimique tient à plusieurs facteurs distincts : d’une
part, à l’absence ou du moins la quasi-absence de statistiques fiables sur les
pertes réelles infligées par les gaz à la plupart des armées parties au conflit
et plus particulièrement à l’armée russe ; d’autre part, aux méthodes
statistiques adoptées par les belligérants pour dénombrer et classer les
victimes du conflit ; et enfin, à la difficulté de déterminer précisément,
dans les conditions de la bataille, la cause véritable des pertes humaines. La
plupart des armées belligérantes disposaient de grilles médicales statistiques
qui, en théorie, semblaient susceptibles de dégager avec une relative
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