La grande guerre chimique : 1914-1918
les autorités françaises décidèrent de mettre un terme au
pétardement chimique massif et donnèrent ordre aux chefs de corps d’enterrer
les munitions chimiques. Un grand nombre de ces munitions françaises de la
Première Guerre mondiale se trouvent aujourd’hui encore enfouies sur ces sites « sauvages ».
Pour des raisons pratiques, les autorités allemandes
décidèrent de concentrer leurs stocks chimiques [762] à Breloh en
attendant les instructions des vainqueurs. Le site fut réhabilité et les
substances qui y étaient entreposées détruites, non sans difficultés, à partir
de 1920 [763] .
L’industrie chimique allemande, dont la plus grande partie se trouvait en zone
occupée, fut promptement démantelée. Un certain nombre de sites de production
fut entièrement démonté (ce fut le cas pour le sulfure d’éthyle dichloré ou les
arsines) mais dans la plupart des cas, les capacités de production (phosgène ou
éthylène) furent réduites de 50 % à l’initiative de la Commission de
contrôle du désarmement de l’Allemagne instaurée par le traité de Versailles.
Cette Commission disposait d’une section chimique, dont le siège était situé à
Berlin. Elle était dirigée par deux éminents chimistes, H. E. Watts
et Henri Muraour [764] .
La question de l’arme chimique prit également, au cours des
mois et même des années qui suivirent la guerre, une dimension morale et
juridique. Il importait en effet de savoir si l’Allemagne pouvait être tenue
pour responsable du déclenchement des hostilités chimiques. Ce débat, comme on
a pu le constater, était, tant historiquement que juridiquement, plus subtil qu’il
pouvait y paraître au premier abord. La position allemande consistait à rejeter
la responsabilité de la guerre chimique sur la France et à affirmer que l’armée
allemande, le 22 avril 1915, n’avait fait que son devoir en répondant
aux initiatives de l’ennemi. Bien sûr, cette opinion était largement répandue
en Allemagne et c’est la conclusion à laquelle parvint en 1923 la
sous-commission chargée, au sein du Reichstag, d’enquêter sur les violations du
Droit international pendant la guerre [765] . Les Alliés
défendaient bien évidemment une position différente. La première initiative
visant à limiter ou à interdire l’utilisation d’armes chimiques lors de
conflits fut imposée aux vaincus. Le traité de Versailles, dans ses articles 171
et 172, interdisait à l’Allemagne l’utilisation de l’arme chimique. Ainsi aux
termes de l’article 171 : « L’emploi des gaz asphyxiants, toxiques
ou similaires, ainsi que de tous liquides, matières ou procédés analogues,
étant prohibé, la fabrication et l’importation en sont rigoureusement
interdites en Allemagne. Il en est de même du matériel spécialement destiné à
la fabrication, à la conservation ou à l’usage desdits produits ou procédés (…) » ;
l’article 172 précisait en outre que « dans un délai de trois mois à
dater de la mise en vigueur du présent traité, le gouvernement allemand fera
connaître aux gouvernements des principales puissances alliées et associées la
nature, le mode de fabrication de tous les explosifs, substances toxiques ou
autres préparations chimiques, utilisés par lui au cours de la guerre, ou
préparés par lui dans le but de les utiliser ainsi ».
Au même moment, les Alliés, réaffirmant leur adhésion aux
Conventions de La Haye, s’engagèrent à signer, dans un avenir proche, un
traité international prohibant l’utilisation des gaz de combat. La question de
la prohibition des armes chimiques était en fait bien plus complexe qu’un
simple accord de contrôle des armements dans la mesure où cette décision
impliquait l’établissement d’un régime de contrôle réciproque des États [766] .
Un tel régime était considéré par les grandes puissances comme une violation de
leur souveraineté. Néanmoins, des négociations entre la France, l’Italie, le
Japon, la Grande-Bretagne et les États-Unis s’engagèrent lors de la conférence
navale de Washington à la fin de l’année 1921. Le 6 février 1922, les
participants signèrent un traité dont l’article V spécifiait : « L’utilisation
en temps de guerre de gaz, quels qu’ils soient, asphyxiants ou délétères, de
toutes substances liquides analogues, matériels ou procédés ayant été justement
condamnée et prohibée par les nations civilisées,
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