La grande guerre chimique : 1914-1918
Français. » [759] Au début de l’année
1918, les mêmes informations furent diffusées à nouveau par la presse suisse :
« Parmi les moyens dont on dispose pour cela (une grande offensive !) il y a, paraît-il, ce nouveau gaz d’une efficacité destructive inouïe dont l’Empereur Guillaume
n’a pas voulu jusqu’à présent, par humanité, autoriser l’emploi. » [760]
À deux reprises, des initiatives diplomatiques tentèrent,
sans succès, de mettre un terme aux hostilités chimiques. En mai 1915, au
lendemain de l’attaque de Langemarck et du torpillage du Lusitania, le
président des États-Unis, Woodrow Wilson, proposa à l’Allemagne de cesser les
attaques sur les navires marchands et d’abandonner la guerre chimique. Wilson
proposa également qu’en contrepartie la Grande-Bretagne accepte de lever le
blocus des ports neutres. Les deux protagonistes rejetèrent l’offre… La seconde
tentative demeure vraisemblablement celle dont on maîtrise le mieux les rouages
du fait de la participation involontaire (et sans aucun doute de bonne foi) des
bureaux de la Croix-Rouge internationale à Genève [761] . Cette
organisation fut informée au début du mois de février 1918 que l’armée
allemande était sur le point d’utiliser un nouveau gaz dont les effets étaient
effroyables. La Croix-Rouge émit une véhémente protestation auprès du
gouvernement allemand et appela les belligérants à s’engager à ne plus utiliser
les armes chimiques. L’affaire fit grand bruit mais cet appel resta sans
conséquence. Le but de l’Allemagne dans cette tentative était sans doute, en
premier lieu, d’altérer le moral des troupes alliées mais peut-être fallait-il
aussi y voir une tentative de stopper réellement les hostilités chimiques. À cette
date, certains militaires et chimistes allemands évoquaient en effet la sombre
perspective de voir au cours de l’année 1918 les productions massives de la
chimie américaine venir augmenter les stocks des forces alliées. Ce fut là, à
ma connaissance, la dernière tentative diplomatique de ce genre.
L’arme chimique dans l’immédiat après-guerre
Aussitôt la paix assurée, la production de toxiques de
guerre fut stoppée. Deux mois après la signature de l’armistice, estimant leurs
réserves suffisantes, les belligérants ne produisaient plus aucune de ces
substances. Les usines de production, aussi dangereuses que coûteuses à
entretenir, devinrent pratiquement du jour au lendemain des monstres d’acier
dont il convenait de se débarrasser au plus vite. Dans un premier temps, la
production fut stoppée et les installations maintenues en état de
fonctionnement. Les fournisseurs privés, faute de commandes, furent contraints
à démanteler ou, quand cela était possible, à convertir leurs usines à d’autres
productions. Les gouvernements français et britannique optèrent pour le
maintien d’une capacité réduite, jugée indispensable pour un certain nombre de
substances (arsines, gaz moutarde, phosgène) dans des usines de l’État. La fin
des hostihtés sonna aussi le glas de la coopération interalliée dans le domaine
chimique. Les échanges d’informations entre la France et la Grande-Bretagne
cessèrent brutalement au cours de l’année 1919. La confidentialité des documents
liés à la guerre et aux recherches chimiques fut portée, dans les deux pays,
jusqu’aux degrés les plus élevés.
Il fallut également s’atteler à la décontamination de
nombreux sites militaires souillés par des toxiques ainsi qu’au
déconditionnement de centaines de milliers de munitions chimiques fabriquées et
stockées en divers endroits. Jusqu’à l’été 1919, cette tâche ingrate et
souvent dangereuse (il y eut de fréquents accidents) occupa un grand nombre de
prisonniers de guerre allemands encadrés par des personnels alliés. Les
méthodes utilisées pour mener ces tâches à bien feraient aujourd’hui frémir l’écologiste
le plus modéré. Le pétardement, c’est-à-dire la détonation massive de munitions
conventionnelles et de munitions chimiques en plein air, était de fait le moyen
le plus courant de se débarrasser de ces projectiles devenus encombrants. L’autre
solution consistait à immerger en haute mer les obus dont on voulait se
départir. Plusieurs milliers de tonnes de substances chimiques furent ainsi
déversées dans la Manche et la mer du Nord par les Français et les Britanniques.
À partir de 1933,
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