La grande guerre chimique : 1914-1918
les signataires du présent
traité, afin que cette prohibition soit dorénavant acceptée universellement
comme loi internationale, affirment leur consentement à cette prohibition et s’estiment
désormais mutuellement liés par cet engagement et invitent les autres nations
civilisées à y adhérer. » [767] L’entrée en vigueur du traité était subordonnée à sa ratification par toutes
les parties. La France ne remplissant pas ces obligations et refusant de
ratifier une clause traitant de la guerre sous-marine, le traité ne fut jamais
promulgué et les engagements concernant la guerre chimique restèrent donc
lettre morte.
Dans le même temps, et depuis 1920, la SDN avait engagé,
sous l’égide de la Commission pour la réduction des armements, un processus
politique et juridique devant aboutir à la prohibition internationale des gaz
de combat. Au terme d’une phase d’information et de collecte de renseignements
confiée à une sous-commission, un rapport fut publié en 1924 [768] .
Ce document soulignait qu’il semblait illusoire de vouloir mettre un terme à la
guerre chimique en contrôlant la production d’un certain nombre de substances
chimiques mais insistait sur les dangers des bombardements chimiques pour les
populations civiles. Le 17 juin 1925, lors de la conférence consacrée
au commerce international des armes, un court texte, bientôt baptisé « Protocole
de Genève », fut adopté par les participants. Ce protocole prohibait l’utilisation
d’armes chimiques et bactériologiques et fut rapidement ratifié par près de 40 pays [769] .
Il ne constituait cependant pour les signataires qu’un engagement moral et ne
comportait aucune procédure de vérification, ni même de quelconques sanctions
en cas de violation du protocole. La plupart des signataires, dont la France [770] et la Grande-Bretagne, se réservèrent la possibilité d’utiliser des armes
chimiques dans le cas où l’ennemi en aurait fait usage le premier. De fait, les
recherches militaires offensives et défensives consacrées aux armes chimiques
continuèrent dans la plupart des pays occidentaux pendant l’entre-deux-guerres.
L’arme chimique fut véritablement l’arme de l’usure, de la
fatigue, de l’épuisement tant physique que moral de l’ennemi. Cette dimension
psychologique, et même psychiatrique pour les hommes les plus fragiles, dont il
n’est pas possible de quantifier précisément les conséquences sous forme de
statistiques, constitua sans aucun doute l’une des caractéristiques majeures
des hostilités chimiques. La nature même de l’arme chimique, qui suscite une
répulsion irraisonnée et phobique, le caractère opaque de son mode d’action,
qui peut être assimilé aux effets du poison, évocateurs de souffrances
terribles et prolongées, conjugués à la relative confidentialité dans laquelle
fut maintenu cet aspect de la guerre, favorisèrent l’essor d’un mythe de la
guerre chimique. Ce mythe contribua largement à altérer l’évaluation et la
perception du bilan militaire de la guerre chimique au cours de la Première
Guerre mondiale.
Conclusion
« Les militaires ne
pourront ignorer les gaz de combat dans les guerres futures. C’est une des formes
supérieures de la guerre. »
Fritz HABER [771] .
L’utilisation des armes chimiques au cours de la Première
Guerre mondiale offre un bilan extraordinairement contrasté de sorte qu’il
semble présomptueux de dresser des conclusions catégoriques. Ce facteur tient
pour l’essentiel au caractère si particulier de cette forme de combat, qui,
outre ses caractéristiques militaires, comporte une dimension psychologique qu’il
ne faut pas négliger. La place qu’occupe, aujourd’hui encore, l’expérience des
gaz de combat au cours de la Grande Guerre dans la mémoire collective des
Français en est le témoignage le plus significatif.
Quelques données statistiques
En premier lieu, il convient de se pencher sur les quelques
données chiffrées fiables qu’il est possible de rassembler [772] .
Au total, près de 112 600 t d’agents chimiques
furent utilisées pendant la Grande Guerre par l’ensemble des belligérants. En
termes quantitatifs, avec 52 000 t d’agents chimiques utilisées au
cours du conflit, l’Allemagne fut, de loin, le principal protagoniste de la
guerre chimique. La France (26 000 t) et la Grande-Bretagne (14 000 t)
ne purent rivaliser avec la puissance de l’industrie chimique
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