La grande guerre chimique : 1914-1918
le pas sur l’offensive. Les batailles d’hiver en Champagne avaient
imposé des améliorations importantes aux positions défensives : il
convenait d’établir une défense étalée avec une partie en contre-pente,
développer le flanquement des mitrailleuses, adopter le principe des abris à
deux entrées et des lignes téléphoniques enterrées. On reconnaissait au sein
des états-majors « la nécessité de positions de seconde ligne à 1 500
ou 2 000 m de la première » [117] .
Une nouvelle forme de guerre commençait, celle des taupes et du fil barbelé,
une guerre immobile. À la bataille succédait une phase de consolidation des
positions si chèrement acquises. Les soldats se transformaient en sapeurs,
creusant des abris, des tranchées et des boyaux de communications sur une
profondeur allant jusqu’à trois lignes de défense, et cela sur près de 750 km.
Désormais, de la mer du Nord à la Suisse, une ligne continue de tranchées
séparait les adversaires. Au sein des états-majors, les cerveaux s’attachaient
à découvrir l’option tactique ou l’arme qui allait permettre de reconquérir le
mouvement. Comme l’écrivait, en 1919, le général Rouquerol, « l’erreur
de nos états-majors dirigeants a été de ne croire qu’à la guerre de mouvement
et de nier la guerre de siège, de la nier non seulement avant, mais pendant la
guerre elle-même » [118] .
Ainsi, une seule pensée obsédait les états-majors : comment recréer la
seule vraie guerre, la guerre de mouvement ?
Sur le front oriental, on assista à peu près au même moment
à une immobilisation des opérations militaires, bien que les raisons en fussent
quelque peu différentes. La campagne orientale avait débuté par la splendide
victoire remportée par les Allemands à Tannenberg entre le 25 et le 30 août 1914
et ce malgré une supériorité numérique russe de plus de deux contre un. Aucune
décision définitive n’avait néanmoins été obtenue à la fin de l’année. Après
les percées russes en Galicie [119] et les
rectifications du front en Pologne, la zone des combats s’était stabilisée. À l’est
aussi, la guerre s’annonçait longue et l’état-major allemand était confronté,
dans une certaine mesure, au même problème tactique que sur le front occidental :
reconquérir le mouvement.
Des conditions nouvelles
Avec la fin de la première bataille d’Ypres et la prise de
Lodz par les forces allemandes se refermait le premier volet de la Grande
Guerre. La guerre des tranchées commençait… Cependant, aucune armée n’avait
accepté délibérément cette solution. Une dernière tentative de rupture du front
allemand eut lieu à la fin du mois de décembre 1914 dans la région d’Ypres,
mais elle se solda par un nouvel échec meurtrier. Dès que la guerre de
positions fut acceptée, l’organisation et le déroulement des combats connurent
deux développements : technique et tactique. On vit se développer les
tranchées, en réseaux parallèles dont le tracé s’adaptait au terrain. « Profondes
de deux à deux mètres cinquante, ces parallèles étaient pourvues d’un gradin
plus élevé pour le tir et l’observation, et l’on pouvait en sortir vers l’ennemi
par échelles ou gradins d’assaut. Des réseaux de barbelés, dont l’épaisseur
dépassera parfois cinquante mètres, s’enchevêtraient devant ces parallèles.
Telle était la défense. » [120] L’attaque retrouva en conséquence l’argument du tir courbe avec une gamme
toujours plus importante de mortiers et de lance-torpilles, de grenades à main
puis à fusil. « Elle remit en œuvre le vieil arsenal des guerres de mines
et de contre-mines, avec rameaux souterrains de combat et d’écoute, camouflets
et contre-camouflets. » [121] Désormais, le
front se « momifiait » dans un réseau de positions qui se
contrôlaient mutuellement, irrigué par un labyrinthe de tranchées.
Pour reconquérir le mouvement, il était nécessaire d’innover.
La guerre de sape et de mine était loin d’apporter une réponse satisfaisante,
il fallait une révolution technique, une arme inédite et providentielle.
Toutefois, en attendant cette dernière, il convenait d’utiliser au mieux les
armes dont on disposait déjà. D’abord l’artillerie, dont la puissance de feu s’accrut
de manière exponentielle, car elle ouvrait à l’infanterie le chemin de l’offensive
en minimisant les pertes. On assista lors des grandes
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