La grande guerre chimique : 1914-1918
offensives alliées du
début 1915 à des concentrations inédites d’artillerie. Les pièces pilonnaient
les premières positions ennemies, écrasaient ses batteries, et tentaient de
faire taire les mitrailleuses, dont la puissance d’arrêt était presque absolue.
Cette technique révéla cependant ses limites, car une fois la première ligne ennemie
atteinte, les fantassins se heurtaient à la deuxième ligne, où ils étaient bien
souvent stoppés par un feu dense. De plus, les barbelés s’opposaient à une
avance rapide. On tenta bien, en vain, de faire avancer des tracteurs agricoles
ou des rouleaux compresseurs blindés jusqu’aux réseaux de ronces métalliques.
Heureusement, un artilleur français s’était aperçu qu’ils n’étaient pas
infranchissables, car 600 coups groupés de canon de 75 à percussion
instantanée permettaient d’ouvrir une brèche de 4 m de large dans le
réseau le plus dense. Cette méthode allait être utilisée jusqu’à la fin de la
guerre. Enfin, on vit apparaître des protections blindées individuelles qui,
bien souvent, étaient l’œuvre d’inventeurs privés. Ces lourdes cuirasses, qui
demeuraient vulnérables à une distance inférieure à 50 m, transformaient
les soldats en cibles aisées. Ces protections s’avérèrent rapidement
inutilisables et dangereuses, et furent progressivement abandonnées [122] . Aucune de ces
améliorations n’apportait de réponse définitive aux espoirs des militaires,
hypnotisés par le mythe de la percée. L’utilisation de l’arme chimique, au même
titre que certaines innovations tactiques nées de l’imagination des plus
brillants artilleurs des deux camps (ou même des espoirs placés dans des
matériels des plus baroques que l’on vit apparaître aussi rapidement que
disparaître au cours des premiers mois de la guerre des tranchées), fut une des
voies suivies pour reconquérir le mouvement. C’est donc cette désespérante
impasse tactique qui allait conduire au recours, par les forces allemandes le 22 avril 1915,
dans le cadre de l’offensive des Flandres sur la face nord-est du saillant d’Ypres,
à une arme nouvelle et prometteuse, les gaz de combat.
CHAPITRE II
Une initiative allemande ?
Rhedi à Usbeck : « Je
tremble toujours qu’on ne parvienne à la fin à découvrir quelque secret qui
fournisse une voie plus abrégée pour faire périr les hommes, détruire les
peuples et les nations entières… Il n’y a pas longtemps que je suis en Europe,
mais j’ai ouï parler à des gens sensés des ravages de la chimie… »
Usbeck à Rhedi : « Tu
crains, me dis-tu, que l’on n’invente quelque manière de destruction plus
cruelle que celle qui est en usage. Non ; si une fatale invention venait à
se découvrir, elle serait bientôt prohibée par le droit des gens ; et le
consentement unanime des nations ensevelirait cette découverte. »
Charles de MONTESQUIEU, Les lettres persanes [123] .
Avant d’examiner les développements des hostilités chimiques
au cours du conflit, il convient de trancher l’une des questions les plus
délicates liées à la guerre des gaz entre 1914 et 1918 : déterminer la
date à laquelle elle débuta ainsi que l’identité réelle de son initiateur.
Jusqu’à aujourd’hui, et malgré les travaux de l’historien américain Ulrich
Trumpener [124] ,
cette question restait sans réponse convaincante. Si personne ne semble
contester la naissance de la guerre chimique, du moins pour sa forme
meurtrière, à la date du 22 avril 1915, peut-on pour autant affirmer
qu’elle fut, à ce moment précis du conflit, une réelle nouveauté [125] ?
Cette interrogation paraît particulièrement pertinente dans la mesure où l’avènement
de la guerre chimique ne peut pas être fixé au moment où les gaz causèrent leur
première victime mais plus précisément à la date de la première utilisation au
cours du conflit de gaz délétères, mortels ou non, à des fins militaires.
Une innovation française
En effet, contrairement à une idée généralement répandue, l’utilisation
de gaz à des fins militaires lors de la Première Guerre mondiale est antérieure
à ce désormais fameux 22 avril 1915 [126] . Au lendemain de
l’attaque chimique allemande du 22 avril, une vive polémique éclata entre
la France et l’Allemagne ; les deux protagonistes se rejetant mutuellement
la responsabilité du déclenchement des hostilités chimiques [127] . La
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