La grande guerre chimique : 1914-1918
furent entrepris par Hans Tappen [162] à Spandau. Le
problème du liquide fut surmonté au moyen d’un contenant sphérique plombé, qui
renfermait le lacrymogène ainsi qu’une partie de l’explosif, ce qui améliorait
la dispersion du gaz. Ce procédé allait être utilisé pendant toute la durée de
la guerre pour la fabrication des obus chimiques allemands.
Ces nouvelles munitions furent testées une première fois à
Kummersdorf, dans un centre d’essai de l’artillerie près de Berlin en décembre 1914,
puis, après quelques améliorations techniques, à grande échelle, à Wahn le 9 janvier 1915,
en présence de Falkenhayn et de son chef d’état-major Adolf Wild von Hohenborn [163] .
À la suite de ces derniers essais, il fut convenu d’adopter le nouveau
projectile [164] au mortier de 150 mm. La munition reçut la dénomination T-stoff, en
hommage à la contribution de Tappen. Dès le 31 janvier 1915, 18 000
de ces obus furent utilisés contre les forces russes à Bolimòw par la IX e armée
allemande [165] du major-général August von Mackensen, lors d’une opération
préliminaire aux offensives dans la région des lacs de Mazuries. Les résultats
furent encore une fois très décevants [166] . Non seulement
les artilleurs allemands avaient considérablement surestimé l’efficacité du
gaz, mais surtout ils n’avaient pas tenu compte de la température ambiante lors
de l’attaque. Celle-ci avoisinait en effet – 15 °C et réduisait ainsi
considérablement la volatilité et donc les effets du lacrymogène. Malgré tout,
le T-stoff ne fut pas abandonné. Après quelques notables modifications,
il se montra à peine plus efficace un mois plus tard sur le front occidental,
dans des conditions climatiques pourtant plus favorables. Il fut utilisé pour
la première fois sur ce théâtre en mars 1915 non loin de Nieuport [167] par la IV e armée allemande, commandée par le duc Albrecht
de Wurtemberg. En dépit des qualités certaines du mélange gazeux, les
militaires allemands ne maîtrisaient pas encore parfaitement les conditions
tactiques optimales d’utilisation de cette nouvelle arme. Aussi, les premiers
résultats se révélèrent médiocres. Cependant, les autorités semblaient d’autant
plus confiantes à l’égard de cette nouvelle forme de combat que de nombreux
chimistes allemands affirmaient que l’ennemi serait incapable d’utiliser cette
technique avant longtemps, tant l’avance de l’Allemagne dans ce domaine était
écrasante. Selon Rudolf Hanslian, quelques chimistes allemands avaient
cependant émis des réserves sur ces assertions et pensaient qu’un délai de six
à dix mois suffirait aux Alliés pour être en mesure de répliquer à cette
innovation. Hanslian évoquait ainsi une réunion officielle de l’état-major le 20 mai 1915,
pendant laquelle devait être abordée la question des protections à mettre en œuvre
contre une éventuelle réplique chimique de l’ennemi. Au cours de cette réunion,
Rudolf Hanslian prit la parole pour s’élever contre l’idée répandue au sein de
l’état-major allemand que les Alliés ne pourraient, dans un avenir proche,
mener des attaques chimiques. Il faut envisager ce témoignage avec beaucoup de
prudence dans la mesure où il n’y a pas de trace de cette réunion et moins
encore de cette intervention de Rudolf Hanslian dans les archives allemandes
qui, certes, sont lacunaires [168] . Au début du printemps 1915,
les forces allemandes utilisèrent le T-stoff en de nombreuses occasions
sur le front occidental [169] . Parallèlement,
les recherches continuaient et, dans le but d’accroître la toxicité des
lacrymogènes, on expérimenta, entre février et avril, un mélange de T-stoff et
de phosgène. Selon toute vraisemblance, cette expérience ne donna pas pleine
satisfaction puisque le projet fut abandonné.
En définitive, si la postérité veut que l’Allemagne soit l’initiateur
de la guerre chimique, on constate, d’une part, que cela est partiellement
erroné et que, d’autre part, l’avènement de la guerre chimique fut le fruit d’un
cheminement parallèle mais néanmoins indépendant de chacun des belligérants,
tous confrontés à la même désespérante situation tactique. L’objectif immédiat
des stratèges lors de l’introduction des gaz sur le champ de bataille était de
mettre un terme à l’immobilisation des combats. Les formes nouvelles prises par
la guerre, une
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