La grande guerre chimique : 1914-1918
d’être disponible rapidement en grande quantité grâce à la
production de l’industrie chimique allemande. Le P r Haber fut
immédiatement promu du grade de caporal à celui de capitaine dans la réserve [174] .
Cette promotion exceptionnelle récompensait une idée non moins extravagante. On
effectua des essais à échelle réduite au début du mois de janvier 1915 au
centre d’expérimentation de l’artillerie de Wahn. Des expériences plus
importantes se déroulèrent en Belgique : au mois de février 1915, au
polygone de Beverlow, et au début du mois d’avril sur le terrain de manœuvre de
Hasselt, en présence du P r Haber et de nombreux officiers
supérieurs. Lors de ce dernier essai, le P r Haber, accompagné
du major Max Bauer, traversa à cheval, et sans protection, un petit nuage
de chlore afin d’en tester les effets [175] . Cette bravade
leur valut, à tous deux, près de deux semaines d’hospitalisation. Ces derniers
tests se révélèrent par ailleurs concluants et à la mi-janvier 1915, en
dépit des réticences exprimées par de nombreux officiers supérieurs jugeant le
procédé contraire au code de l’honneur, le principe d’une utilisation sur le
théâtre des combats fut entériné par Falkenhayn en personne [176] .
Selon Victor Lefebure, les travaux du Kaiser Wilhelm
Institut sur les possibilités militaires de certains agents chimiques avaient
débuté dès avant août 1914. Dans son ouvrage, Lefebure rapporte le
témoignage d’un technicien du KWI qui relatait des événements survenus à l’Institut
au cours du mois d’août 1914 :
« Nous pouvions entendre les expériences que le Pr Haber
conduisait à l’autre bout de l’Institut. Des véhicules militaires, avec à leur
bord des officiers, arrivaient à l’Institut très tôt le matin. Un jour, il y
eut une violente explosion dans l’une des pièces dans laquelle étaient conduits
les travaux d’ordre militaire. Le laboratoire fut instantanément envahi par un
lourd nuage. Les assistants s’empressèrent d’aérer la pièce et découvrirent le
corps inanimé du Pr Sackur. Ce dernier était gravement atteint et décéda
peu après. Après cet accident, les travaux consacrés au phosgène furent
suspendus et je pense que seules les expériences sur le chlore et les composés
chlorés continuèrent. » [177]
Il convient certes de prendre en compte ce témoignage avec
une grande prudence car Lefebure ne cite aucun nom et précise uniquement que le
technicien en question était originaire d’un pays non engagé dans le conflit et
donc non allemand. De plus, cette déposition semble relativement peu crédible
dans la mesure où l’accident et le décès du P r Otto Sackur, l’assistant
de Haber, sont tenus pour certains, certes dans des circonstances similaires,
mais au début du mois de janvier 1915 [178] . Il reste ainsi
très difficile de déterminer avec précision la date du début des recherches
chimiques militaires allemandes.
Après avoir obtenu l’assurance des experts chimistes que les
Alliés ne pourraient répondre à cette forme de guerre avant de longs mois, Falkenhayn
et son état-major entreprirent, entre le 14 et le 25 janvier, de consulter
des officiers de multiples secteurs du front occidental [179] afin de
déterminer le site le plus propice à une telle opération. On envisagea un
moment d’inaugurer cette technique en Galicie où une offensive importante se
préparait. Toutefois, l’état-major renonça à ce projet. Il ne voulait en aucun
cas faire dépendre une opération d’une telle envergure d’un procédé jugé si
nouveau et donc si aléatoire.
Aussi, en accord avec le général-major commandant la IV e armée
allemande, le duc Albrecht von Wurtemberg, et après une étude
détaillée des conditions météorologiques et topologiques, l’OHL porta son choix
sur la région occupée par la IV e armée, qui semblait la moins
défavorable. En accord avec son chef d’état-major, le major-général Ilse
et le commandant du 15 e corps d’armée, le général Berthold
von Deimling [180] ,
il fut décidé que le lieu de l’opération se situerait au sud du saillant d’Ypres.
Cependant, à bien des égards, et pas seulement en raison des réserves de
certains officiers supérieurs à voir cette opération se dérouler dans leur
secteur, la région d’Ypres n’était pas très propice à cette expérience. Outre
les considérations topologiques
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