La grande guerre chimique : 1914-1918
évidentes, c’est la météorologie de cette
région [181] et plus particulièrement les vents dominants qui semblaient s’opposer à la
tentative allemande, ou du moins la rendre plus délicate.
Brouillard mortel sur Langemarck
Rapidement, les autorités militaires allemandes
réquisitionnèrent près de 6 000 cylindres pressurisés contenant du
chlore, soit la moitié des stocks disponibles en Allemagne à cette date, et
passèrent une commande pour 24 000 unités supplémentaires, soit en
tout et pour tout, 700 t de chlore. Pour mettre en œuvre l’opération, on
dut créer des unités spéciales [182] dont le
commandement fut confié à un officier du génie, le colonel Otto Peterson.
Ces unités, les 35 e et 36 e régiments de pionniers,
furent constituées de troupes entraînées spécifiquement à la guerre chimique.
Elles comprenaient aussi des scientifiques et des ingénieurs recrutés dans d’autres
régiments et parfois issus de la société civile. On comptait parmi eux les
physiciens James Franck et Gustav Herz ainsi que le chimiste Otto Hahn, qui
furent plus tard tous trois couronnés du prix Nobel. Cependant, le P r Haber
conservait la supervision technique et scientifique de l’attaque. Ces hommes
commencèrent leur entraînement à Wahn à la fin du mois de janvier 1915.
Plus tard, les quartiers de ces unités furent transférés dans le village de
Gheluvelt sur la route de Ypres à Menin.
Le 25 janvier 1915, le général Berthold von Deimling
fut convoqué à Mézières au Grand Quartier général pour conférer avec
Falkenhayn. Le chef d’état-major de la IV e armée, le général Ilse,
était également présent. Falkenhayn révéla qu’on allait mettre en service une
nouvelle technique de guerre, les gaz toxiques, et que le secteur retenu pour
les premiers essais était celui tenu par le général von Deimling.
Falkenhayn poursuivit en expliquant qu’on livrerait ces gaz toxiques en
bouteilles d’acier, qu’on les installerait dans les tranchées et qu’on les
laisserait se vider dès que le vent serait favorable. Dans ses mémoires, le
général Berthold von Deimling évoqua l’aversion qu’il éprouvait pour
ce procédé : « Je dois reconnaître que la mission d’empoisonner l’ennemi
comme on empoisonne les rats me fit l’effet qu’elle doit faire à tout soldat
honnête : elle me dégoûta. » Toutefois, ces scrupules furent vite
balayés. « Mais si ces gaz toxiques amenaient à la chute d’Ypres,
peut-être gagnerions-nous une victoire qui déciderait de toute la campagne ?
Devant un but aussi grand, il fallait taire les objections personnelles. » [183] À la fin février 1915,
les hommes du colonel Otto Peterson commencèrent à disposer les lourds cylindres
pressurisés près du village de Gheluvelt dans le secteur tenu par le 15 e corps
d’armée du général Berthold von Deimling. À cette même date, le P r Haber
fut détaché au quartier général du 15 e corps avec le titre de
conseiller technique du commandement pour l’opération chimique qui se
préparait. Ces opérations se déroulèrent de nuit pour d’évidents impératifs de
discrétion, et s’achevèrent vers le 10 mars. Ces installations furent
complétées par une station météorologique de campagne. Restait maintenant à
attendre des conditions favorables, indispensables au bon déroulement de l’attaque.
L’attente fut particulièrement éprouvante, les vaines mises en alerte se
succédant à un rythme soutenu [184] . À plusieurs
reprises, des bombardements britanniques atteignirent des cylindres de chlore
qui, en explosant, causèrent quelques pertes parmi les soldats allemands. Ces
incidents attisèrent la méfiance initiale nourrie à l’égard de cette nouvelle
arme par les fantassins allemands qui furent ainsi les premières véritables
victimes militaires des gaz de la Première Guerre mondiale [185] .
En raison des nombreux problèmes techniques et tactiques que
posait le secteur de Gheluvelt, le duc Albrecht de Wurtemberg et ses
conseillers de la IV e armée décidèrent, le 25 mars 1915,
de constituer un deuxième front chimique dans la région, et plus
particulièrement au nord du saillant d’Ypres, près du village de Langemarck. En
effet, en certains endroits à Gheluvelt, le front serpentait de telle manière
qu’il était évident que des troupes allemandes risquaient d’être touchées par
du chlore relâché sur leurs
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