La grande guerre chimique : 1914-1918
distribuée aux Armées à partir du 24 avril 1915 [138] . Sa production
atteignit 3 000 exemplaires par jour à la mi-mai 1915. La
grenade Bertrand n° 1 , qui contenait 25 g de chloracétone [139] ,
fut remplacée au mois de février 1916 par de l’acroléine, aux propriétés
irritantes supérieures. Elle avait une masse de 490 g. Son enveloppe
sphérique était composée de six segments de fonte séparés par des intervalles
de 2 mm environ et appliqués par un ficelage en fil de fer avec plomb
contre une ampoule centrale de verre qui contenait le lacrymogène. En raison de
sa faible efficacité [140] ,
les possibilités d’emploi de cette arme restaient fort limitées et liées à des
conditions tactiques spécifiques. Un exemplaire de cette grenade, dont la forme
sphérique n’était pas sans rappeler une orange, est exposé au musée des Armées
aux Invalides à Paris. L’utilisation de ces matériels fut également confirmée
par une note confidentielle du ministère de la Guerre rédigée au lendemain du 22 avril 1915 :
« Dans les derniers mois et notamment depuis le
début de l’année, l’armée française a employé des engins suffocants, mais non
asphyxiants à la chloracétone et au bromacétate d’éthyle. Ces produits, et en
particulier le dernier, sont très efficaces mais ne présentent pas de nocivité :
ils rentrent entièrement dans les stipulations des conventions de La Haye
et de Genève. Vu la difficulté de se procurer le brome qui était exclusivement
fourni avant la guerre par l’Allemagne, ces produits n’ont d’ailleurs été
employés qu’en petite quantité et pour des actions isolées. » [141]
Au mois de juillet 1915, les autorités françaises, pour
se défendre devant les opinions publiques internationales des allégations
allemandes les accusant d’être responsable de l’escalade chimique, reconnurent
enfin publiquement l’existence de ces engins suffocants :
« Ainsi que le dit formellement la note française
les vapeurs répandues par les engins suffocants ne sont pas délétères, et leur
effet n’est que momentané. La note avertit les troupes qui doivent occuper les
tranchées avant que les vapeurs aient disparu, que le picotement désagréable qu’elles
ressentiront dans le nez et dans la gorge ne présente aucun danger et n’entraîne
aucune complication. Obliger l’ennemi à évacuer les tranchées au moyen d’un
procédé qui ne causerait aucun désordre sérieux et durable à l’organisme des combattants,
tel est le problème que l’état-major français s’était efforcé de résoudre, et
son souci d’humanité apparaît nettement dans la note officielle publiée par la
légation d’Allemagne de Berne. On chercherait vainement la trace d’un souci
analogue dans les procédés de l’état-major allemand. Ses fumées asphyxiantes
ont pour but et pour résultat de provoquer de graves désordres dans l’organisme.
Elles ont causé de nombreux décès, aussi bien d’ailleurs parmi les troupes
allemandes que parmi les troupes alliées. Entre les engins de nos adversaires
et ceux décrits dans la note du 21 février, il y a la même différence qu’entre
une boule puante et une aspersion de vitriol. » [142]
Les arguments avancés dans la note française étaient
parfaitement valables. Les agents lacrymogènes utilisés n’étaient pas mortels.
Cependant, si les matériels français ne violaient pas la Convention de
La Haye, tant dans la lettre (utilisation de gaz à des fins militaires)
que dans l’esprit (mettre fin à la guerre de tranchées), ils constituaient
indubitablement un prélude à la guerre chimique. L’utilisation des lacrymogènes
par les forces françaises répondait en effet aux mêmes préoccupations tactiques
qui présideront, en avril 1915, à l’utilisation d’un gaz plus nocif par
les Allemands : déloger l’ennemi de positions contre lesquelles les armes
conventionnelles semblaient inefficaces.
Selon M. Prentiss [143] , les Français
adaptèrent d’autre part dès mars 1915 à leur artillerie de campagne un
obus de 75 mm rempli de bromacétate d’éthyle. Considérons néanmoins cette
information avec la plus grande circonspection dans la mesure où l’on ne trouve
aucune trace de l’existence de ce projectile, et encore moins de son
utilisation, dans les archives officielles françaises. Cette assertion semble d’autant
plus douteuse que le bromacétate d’éthyle avait été
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