La grande guerre chimique : 1914-1918
arrières. Dès le 5 avril, les hommes de
Peterson commencèrent l’installation, qui fut achevée le 11 du même mois. Cette
installation avait été si consciencieusement menée que les nouveaux soldats qui
prenaient positions dans la tranchée ne réalisaient pas la présence des
cylindres sous leurs pieds. Pourtant, 5 800 unités, contenant 150 t
de chlore avaient été disposées dans les tranchées allemandes. La densité
optimum, calculée initialement par le P r Haber à 30 t, fut
ramenée à 21 t de chlore par kilomètre de front. Le général Otto
Freiherr von Hügel, chef du 26 e corps de réserve occupant
ce secteur, avait pour objectif de s’emparer des hauteurs de Pilckem, qui
commandaient la possession de la ville d’Ypres. Il apparaît que l’état-major n’attendait
pas des miracles de cette nouvelle arme, mais un simple succès local. En effet,
les unités affectées à cette attaque ne reçurent aucun renfort en hommes, ni
aucun matériel supplémentaire [186] . De plus, le 8 avril 1915,
dans une instruction à ses troupes [187] , von Hügel
précisait que l’objet de l’offensive était de s’emparer des crêtes le long de
la route Boezinge-Pilckem-Langemarck-Poelcappelle et, après y être parvenu, d’installer
immédiatement de solides positions fortifiées [188] . Le général Ilse
refusa même le renfort de deux régiments que le corps d’infanterie de Marine se
proposait de lui détacher [189] . De toute
évidence, il n’était pas question pour le commandement allemand d’exploiter
plus avant l’effet de surprise que ne manquerait pas de susciter la nuée
toxique. À l’OHL, on pensait certes que les gaz pourraient éventuellement
enfoncer le front ennemi mais il convenait d’abord de prouver leurs qualités au
cours d’une opération probatoire. Le manque de confiance en cette nouvelle arme
allait se révéler lourd de conséquences.
Le 10 avril, le général Ilse reçut l’ordre de l’OHL
de déclencher l’attaque dans les plus brefs délais car des unités allemandes de
ce secteur pourraient être transférées sous peu en Galicie. Le jour de l’attaque
fut fixé au 15 avril 1915. Cependant, les conditions météorologiques,
c’est-à-dire l’absence totale de vent, ne permirent pas son déclenchement. Il
en fut de même les 19 et 20 avril. À partir du 17 avril, en raison de
la pression croissante exercée par les forces russes en Galicie, Falkenhayn
décida de transférer des unités du front occidental vers la région de
Gorlice-Tarnòw. Ce transfert devait permettre de développer une large action
offensive en Galicie tandis que les effectifs sur le front occidental étaient
jugés suffisants pour assurer la défense des positions acquises ou même mener
quelques offensives limitées [190] . Dans l’après-midi
du 21 avril, les conditions météorologiques semblèrent devenir favorables
et tous les ordres furent donnés pour que l’attaque soit déclenchée le
lendemain matin à 7 heures. De fait, même si le transfert de troupes vers
le front oriental réduisait encore les chances de succès de l’attaque chimique
allemande, Falkenhayn estimait nécessaire de maintenir une certaine activité
sur le théâtre occidental dans le but de dissimuler à l’ennemi, aussi longtemps
que possible, cette ponction sur les effectifs allemands [191] . Au moment où la
pression sur les effectifs était intense, la réduction du saillant d’Ypres, en
diminuant la longueur du front, se révélait d’un intérêt stratégique non
négligeable. Lors de la phase préparatoire de l’offensive et au fil des
nombreux reports, certains officiers de l’OHL se montrèrent particulièrement
réticents à l’égard de ce nouveau procédé. En dehors des considérations morales
qui motivaient nombre d’entre eux [192] , ils évoquaient
les délais incessants qui ne laissaient place à aucune planification sérieuse.
Il leur semblait que l’utilisation tactique de cette arme était trop risquée,
et surtout trop incertaine. Le sort d’une offensive ne devait pas, à leurs
yeux, être soumis à la direction du vent. Il était clair que le caractère par
trop aléatoire de cette technique, dont le succès dépendait de conditions
météorologiques sur lesquelles un soldat, aussi compétent soit-il, n’avait
aucune prise, ne pouvait que susciter la défiance des officiers allemands
formés à une rigueur absolue des Kriegsakademie.
Il est particulièrement
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