La grande guerre chimique : 1914-1918
qu’au rythme de 850 kg par jour. Le 4 juin,
le colonel Jackson et le major Foulkes assistèrent à Runcorn à la
première démonstration de lâcher de chlore à partir de divers cylindres
pressurisés. Foulkes fixa son choix sur un modèle de cylindre de près d’un
mètre soixante de haut, d’un poids à vide de 54 kg et pouvant contenir 30 kg
de chlore sous pression.
Une collaboration étroite entre les services de l’armée et
le comité chimique de la Royal Society s’instaura. Dès le mois de mai 1915,
un Chemical Sub-Committee fut rattaché au ministère des Munitions nouvellement
créé sous l’impulsion de Lord Kitchener. Cette sous-commission était
composée d’une division recherche, qui comprenait les membres les plus éminents
du comité chimique de la Royal Society, dont les P rs Arthur
William Crossley, H. B. Baker, J. F. Thorpe et Sir George
Bailey, mais également d’une commission commerciale composée des principaux
industriels britanniques de la chimie. Le rôle de cette structure au sein du
Trench Warfare Department (TWD) fut déterminant. Il reste que les recherches
consacrées à la guerre chimique pâtirent longtemps de l’éclatement des services
entre les différents ministères. L’exemple le plus frappant de cette
organisation administrative déficiente concernait le département recherche de l’artillerie.
En effet, alors que les directives du programme chimique étaient établies au
sein du Chemical Sub-Committee, c’est le Munitions Inventions Department qui
avait en charge l’élaboration des projectiles. La transmission des informations
s’en trouvait de fait considérablement altérée.
Dans le même temps, le colonel Jackson décida d’explorer
d’autres voies. À la date du 20 mai 1915, les Britanniques
disposaient d’environ 120 kg d’iodacétate d’éthyle (ou SK) dont ils
avaient évalué, puis écarté, l’utilisation militaire potentielle au cours du
printemps et de l’été 1914. La Cassel Cyanide Company était en mesure de
produire 250 kg de SK par jour. Immédiatement, Jackson organisa des essais
statiques avec des obus de 115 mm (4,5 inches) emplis de ce
lacrymogène. Cette tentative fut un échec car la charge explosive de 60 à 80 g
de trinitrotoluène avait pour effet de vaporiser le gaz sur un tel volume qu’il
rendait son action imperceptible [271] . C’est à cette
occasion que Jackson prit conscience de la difficulté à mettre au point un obus
chimique efficace. Le programme fut donc abandonné.
Les possibilités de fabrication de chlore semblaient offrir
des perspectives plus réjouissantes et la production fut augmentée. En juin 1915,
l’usine de Runcorn accepta, à la demande expresse du War Office, de faire
passer sa capacité de production à 150 t de chlore liquide par semaine.
Toutefois, à la fin de l’année 1915, cette capacité ne dépassait pas 30 t par
semaine. Le gouvernement britannique se décida donc à solliciter d’autres
entreprises dont UAC, Electro-Bleach et By-Products [272] . Malgré de
nombreuses difficultés (problèmes techniques incessants, promesses d’objectifs
quantitatifs non tenues, mauvaise qualité des composés, etc.), la production de
chlore liquide fut régulièrement augmentée pour atteindre son apogée au printemps 1918
avec 210 t par semaine [273] .
Le 16 juin 1915, Sir John French, reprenant à
son compte le mémorandum du major Foulkes, adressait un rapport au
ministère britannique de la Guerre :
« J’ai l’honneur de vous livrer les conclusions
suivantes à propos de la question de l’utilisation des gaz à des fins
offensives :
« a) Il est capital que la première attaque
bénéficie de la surprise. Pour cette raison, les préparatifs pour cette
offensive devront être réalisés dans le secret le plus absolu.
« b) Le front de l’attaque devra être tel qu’il
puisse permettre un gain tactique considérable ainsi que la possibilité d’y
acheminer aisément des renforts (…)
« c) La quantité de gaz devra être suffisante
pour produire des résultats importants (…)
« d) L’utilisation du gaz à partir des
cylindres devra être conjuguée, dès que possible, à des substances plus nocives
à partir de bombes lâchées par les avions, d’obus d’artillerie ainsi que de
mortiers de tranchées. » [274]
Les leçons de l’attaque allemande du 22 avril avaient
été tirées, et il n’était pas question pour les
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