La grande guerre chimique : 1914-1918
[323] .
Il régnait à cette période, au sein de l’état-major britannique, un optimisme
résolu quant aux succès que l’on serait en droit d’attendre de l’utilisation
des gaz. Le 16 septembre 1915, le général Haig notait ainsi dans
son journal : « Avec les gaz, des résultats décisifs peuvent être
envisagés. » [324] Cinq mois après l’attaque allemande de Langemarck, les forces britanniques
étaient donc prêtes à lancer une opération analogue contre l’ennemi. Déjà, près
de 180 t de chlore avait été rassemblées dans le nord de la France. Il fut
décidé que l’attaque se déroulerait dans la région de Loos, au sud-ouest de
Lille. Ce site présentait la particularité d’être relativement plat [325] ,
ce qui serait propice à la progression de la nuée gazeuse. L’attaque
britannique devrait se concentrer en direction de la route Lens-La Bassée. Sous
la direction du major Foulkes, l’offensive fut minutieusement préparée. La
première armée britannique, commandée par le général Haig, était
constituée de quatre corps distincts. Il avait été décidé que les 1 er et 4 e corps mèneraient l’attaque principale tandis que les
autres formations développeraient des diversions ou seraient tenues en réserve.
Il avait été également prévu de relâcher le gaz en même temps qu’une grande
quantité de fumigènes afin de former un nuage opaque qui protégerait la
progression des fantassins britanniques. Ces fumigènes avaient également pour
fonction, en raison de la quantité limitée de cylindres de chlore, d’obliger
les défenseurs allemands à porter leurs masques pendant une plus grande période.
De fait, les services de renseignement britannique estimaient que les masques
allemands offraient une protection d’environ trente minutes contre une
concentration élevée en chlore. Le major Foulkes pensait pouvoir compenser ce
manque toxique en alternant les émissions de gaz et de fumigènes. Ainsi, au
lieu d’une décharge continue de trente-huit minutes de chlore suivie de quatre
minutes de fumigènes, Foulkes avait planifié trois lâchers successifs de
toxique de douze minutes entrecoupés de trois décharges de fumigènes de huit
minutes. L’opération s’étalerait ainsi sur une heure, soit largement plus que
la protection estimée des cartouches filtrantes ennemies. Le plan initial
fixait les attributions respectives en cylindres pressurisés : 2 850 cylindres
pour le 1 er corps et 2 250 pour le 4 e ainsi qu’une
centaine pour les opérations de diversion [326] .
L’infanterie bondirait hors des tranchées trente minutes après le début de la
libération du gaz.
Arrêtée au 15 septembre, l’attaque fut une nouvelle
fois repoussée au 25. À la mi-septembre, en effet, la totalité des cylindres
pressurisés requis n’était pas encore parvenue à Audruick où ils étaient
stockés avant d’être acheminés vers le front. Le 16 septembre, le général Haig
écrivit à William Robertson, chef de l’état-major de French, afin que les
ouvriers de l’usine chimique de Runcorn travaillent jour et nuit pour être en
mesure de produire les 1 000 cylindres manquants avant huit jours.
Dans sa missive, Haig ajoutait : « La situation présente est spéciale
et des mesures spéciales doivent donc être adoptées. » [327] Au même moment,
une polémique s’engagea à l’état-major britannique. La controverse reposait sur
le fait de savoir si, le 25 septembre, il faudrait attaquer sans les gaz
en cas de conditions météorologiques défavorables. Le général Haig, à l’instar
du général Rawlinson, qui commandait le 4 e corps, était d’avis
que l’on ne pouvait pas, sur un front aussi large, se passer de l’appui
chimique. Pourtant, French, après avoir consulté Kitchener, trancha le 19 septembre :
« Nous devons attaquer le 25 avec ou sans les gaz. » [328] Cette décision
allait avoir des répercussions considérables.
Le temps zéro fut arrêté à 5 h 50, et dans les
jours qui précédèrent le 25 septembre 1915, 1 400 hommes,
dont 59 officiers appartenant aux Special Companies, disposèrent les 5 500 cylindres
de chlore et les 11 500 fumigènes destinés à opacifier le nuage
toxique [329] sur un front principal de 4 à 5 km. Le transport de chaque cylindre, dont
le poids dépassait 80 kg, nécessitait 3 à 4 hommes sur une distance
de plus de 2 km, et tout cela en pleine nuit. Dès l’installation
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