La grande guerre chimique : 1914-1918
important :
constituer ex nihilo et en quelques mois une industrie chimique digne de
ce nom.
Pour ce qui concernait le chlore, les premiers besoins
furent couverts par des importations d’Italie et, surtout, de Grande-Bretagne.
Ainsi, au cours du mois de septembre 1915, les autorités françaises
négocièrent un accord avec le colonel Jackson pour la livraison de 50 t
de chlore par semaine en provenance de l’usine de Runcorn. Les premières
livraisons débutèrent en octobre [312] . Les
disponibilités dans ces deux pays restaient toutefois bien inférieures aux
demandes sans cesse croissantes des militaires et des chimistes français.
Aussi, il fallut élaborer dans un laps de temps très court un vaste programme
de construction d’usines de production. Il convient de remarquer qu’en 1914,
une seule usine en France produisait du chlore liquide en quantité très
réduite, et que par la suite, le nombre de spécialistes de cette fabrication
demeura excessivement restreint. Pour le brome, le problème avait la même
acuité pour une bonne et simple raison : en 1914, l’Allemagne jouissait d’un
quasi-monopole de production en Europe. Dans un premier temps, le brome fut
acheminé des États-Unis, où il était également produit. Des études furent
menées, dès juin 1915, sur les deux seuls marais salants français
susceptibles d’être exploités industriellement : les salins de Giraud et
de Berre. Mais, à la suite d’une mission scientifique en Tunisie, le site du
lac salé souterrain de Sebka-el-Malah, à 600 km au sud de Tunis, et dont
les eaux-mères semblaient inépuisables, fut retenu. Une usine fut édifiée sur
place à Zarzis et entra en service en avril 1916. Elle produisit au total
850 t de brome. Le service du matériel chimique put ainsi non seulement
faire face aux besoins de ses propres fabrications de gaz asphyxiants, mais
aussi ravitailler l’industrie française et les alliés européens à un prix dix
fois inférieur à celui du brome importé des États-Unis. Les besoins en soufre
furent couverts par des importations massives d’Italie [313] . Ainsi, en
raison des faibles disponibilités en chlore liquide, il fallut attendre février 1916
pour que puisse être réalisée par les armées françaises la première opération
sur le front. Cependant, et contrairement aux Britanniques, les Français
portèrent très tôt leurs efforts sur une dissémination des agents toxiques par
l’artillerie [314] .
En quelques mois, et à l’encontre de toutes les estimations
des experts allemands, les Alliés étaient en mesure de répondre aux initiatives
chimiques de l’ennemi. En raison des difficultés industrielles rencontrées par
la France, c’est la Grande-Bretagne, qui, le 25 septembre 1915, près
de Loos, allait mener la première véritable offensive chimique alliée. Quelques
mois à peine après le début du conflit chimique, les belligérants possédaient
tous des structures autonomes, certes réduites, mais déjà aptes à mener et
orienter les recherches indispensables à l’essor de la guerre chimique.
En Grande-Bretagne et en France, contrairement à ce qui se
passait en Allemagne, la production chimique n’était pas le fait de deux ou
trois colosses industriels de la chimie. Non seulement les Alliés devaient
gérer les relations avec une vingtaine d’industriels de la chimie, mais dans la
plupart des cas les produits désirés n’avaient rien à voir avec la production
habituelle de ces entreprises. Cela n’était pas sans causer d’épineux
problèmes. Ces difficultés imposèrent la création de structures
gouvernementales aussi nombreuses que complexes. À la différence de l’Allemagne,
le centre de gravité de la guerre chimique était situé directement au sein des
différents ministères. Il appartenait aux responsables alliés d’organiser, de
structurer, et souvent même d’édifier un site de production pour assurer la
réalisation d’un objectif. Les départements chimiques des gouvernements
français et britannique devaient impérativement assurer la totalité des étapes
qui menaient à la fabrication d’un agent chimique militaire : du
laboratoire de recherche à la production industrielle puis à sa militarisation.
La création de cette véritable dynamique industrielle et scientifique était
bien évidemment fort coûteuse en hommes.
À la date du 22 avril 1915, la France ne disposait
d’aucun site industriel de production de
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