La grande guerre chimique : 1914-1918
dans les
tranchées, les hommes des Special Companies constatèrent que de nombreux
cylindres avaient une fâcheuse tendance à laisser échapper du chlore. Cela
était particulièrement dangereux et suscita l’inquiétude et la colère des
fantassins en positions à proximité des réserves de chlore. Ce phénomène s’amplifia
encore au moment de la décharge des gaz. Rapidement, les raisons de ces
déficiences furent identifiées. Les conduits souples, qui permettaient au gaz
de s’échapper en avant des tranchées britanniques, étaient poreux. En cette
occasion, William Howard Livens, un capitaine des Special Companies, conçut et
utilisa, sans l’autorisation de ses supérieurs, un ingénieux système de
conduits souples en caoutchouc à quatre branches qui s’avéra fort efficace. On
comprend donc pourquoi, en plus des considérations morales, cette technique d’attaque,
qui requérait une énorme logistique et qui se révélait exténuante et dangereuse,
ne fut jamais vraiment appréciée par les fantassins de l’infanterie [330] .
Des mesures de sécurité draconiennes furent adoptées dans le but de préserver
le secret indispensable à la préparation de l’offensive. Cependant, selon
Robert Graves, historien de la Grande Guerre qui servait alors dans une unité d’infanterie
à Loos, ces précautions étaient largement inutiles. Il prétendait même que
civils français et militaires allemands savaient pertinemment ce que tramaient
les Britanniques [331] . Le 20 septembre, le major Foulkes mena une
tournée d’inspection des installations chimiques. Il se montra fort satisfait
de ce qu’il vit. Trois jours plus tard, il rencontrait Sir John French
qui, à l’issue de cette entrevue, notait dans son journal : « Tout
est en ordre et nous n’attendons plus qu’un vent favorable. » [332]
Le 21 septembre, les bombardements préparatoires
français et britanniques commencèrent. Le même jour, le général Foch, qui
rencontrait French et Robertson, leur conseilla de ne pas placer trop d’espoir
dans les gaz et proposa que les plans tactiques soient suffisamment souples
pour ne pas souffrir de l’annulation éventuelle de l’offensive chimique [333] .
À l’heure prévue, le 25 septembre, accompagné d’un intense bombardement d’artillerie
et poussé par un léger vent de sud-ouest (1 à 2 m/s), le nuage de gaz fut
libéré. Malgré cette direction peu propice (l’idéal eût été un vent d’ouest !)
et une force par trop fluctuante, l’attaque ne fut pas retardée en raison de
considérations opérationnelles. Haig estimait en effet qu’il n’était pas
possible de remettre une opération d’une telle envergure pour une raison
subsidiaire. L’importance de l’offensive dépassait en effet largement la simple
attaque chimique et ses objectifs. Le général Rawlinson était posté sur
une colline, 4 à 5 km en arrière du front : « La vue qui s’offrait
à moi, je ne l’oublierai jamais. Progressivement un énorme nuage de gaz blanc
et jaune s’éleva des tranchées jusqu’à une hauteur de 40 à 60 m et
commença à flotter doucement vers les lignes allemandes. » [334] Bientôt, les positions de l’ennemi disparurent, noyées dans le feu de l’artillerie
et les volutes verdâtres du gaz.
En raison des fluctuations du vent, aussi bien en intensité
qu’en direction (des conditions qui auraient dû d’ailleurs conduire au report
de l’attaque), les résultats de l’opération furent différents selon les
secteurs [335] .
Ainsi, les effets du gaz facilitèrent grandement l’avance des 15 e et
47 e divisions britanniques, qui occupaient le sud du théâtre d’opérations.
Plus au nord, le vent faiblit et en certains endroits changea complètement de
direction, ramenant le nuage de chlore sur les positions britanniques occupées
par la 2 e division, obligeant ainsi les hommes des Special
Companies à refermer les cylindres. Ces derniers furent parfois obligés par
leurs supérieurs postés en arrière du front de continuer à libérer le chlore
alors que le vent soufflait ostensiblement en direction des lignes alliées. Le
commandant de la section des Special Companies attachée à la 6 e brigade
du 1 er corps au sud du canal de La Bassée rapportait ainsi :
« Vers cinq heures trente, tout était paré pour le
début de l’opération et je décidai de m’assurer une fois encore que la
direction du vent était favorable. Il soufflait très
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