La grande guerre chimique : 1914-1918
heures terribles. » [341] Pourtant, à l’instar des Allemands le 22 avril 1915, les forces
britanniques se montrèrent incapables de pousser plus loin leur succès initial.
L’opération souffrit d’une mauvaise planification du déploiement des renforts.
Ainsi, au lieu de pousser immédiatement les réserves dans la bataille au moment
où les troupes d’assaut s’épuisaient sur les deuxièmes et troisièmes lignes
ennemies, l’état-major britannique repoussa la seconde vague au lendemain. Le 26 septembre,
vers 11 heures, les 21 e et 24 e divisions d’infanterie
se lancèrent enfin vers les lignes ennemies. Leur élan fut immédiatement et
irrémédiablement stoppé [342] .
De nouveau, le lundi 27 septembre, cette fois avec l’aide de 450 cylindres
pressurisés de chlore, une action fut entreprise contre la même position
déterminante tenue par les Allemands [343] : une
colline dont la côte s’élevait à 70 m au-dessus du niveau de la mer, d’où
sa dénomination militaire britannique Hill 70. Nouvel échec !
À l’aune des espoirs placés dans l’offensive du 25 septembre 1915,
l’attaque britannique fut, répétons-le, extrêmement décevante. L’opération dans
son ensemble coûta près de 50 000 hommes à l’armée anglaise (parmi
eux se trouvait l’unique fils de Rudyard Kipling), dont 2 639 victimes
du chlore britannique parmi lesquelles 7 décédèrent. La semaine qui suivit vit
les Allemands reconquérir le terrain perdu le 25 septembre. Les gaz n’avaient
pas permis la rupture décisive escomptée. En raison des conditions
météorologiques imparfaites mais aussi d’une densité insuffisante de gaz au
regard de la largeur du front attaqué, l’offensive ne put être véritablement
décisive et Foulkes, partisan acharné de la technique des nuages dérivants,
constatait amèrement : « Si la fortune nous avait souri, si le vent
avait été un peu plus favorable, il n’y a aucun doute que Sir John French
aurait pu remporter une victoire éclatante au cours de cette journée. » [344] Il notait
également à la date du 25 septembre dans son journal : « Le vent
était très calme, sud-sud-ouest, c’est-à-dire très défavorable pour une telle
attaque, mais la bataille ne pouvait pas être reportée. » [345] Dans ces
conditions, en de nombreux endroits, le gaz ne remplit pas sa mission : « Dans
certains secteurs, le gaz n’atteignit même pas les lignes allemandes et, au
centre de notre dispositif, le nuage dériva tout d’abord vers la droite avant d’être
refoulé vers nos positions occasionnant quelques inconvénients ainsi que des
pertes humaines. » [346] Liddell Hart
rapportait également que l’attaque fut caractérisée par l’indécision et en
proie à des délais incessants liés aux impératifs météorologiques. La technique
du nuage dérivant avait démontré ses limites et mis en exergue les dangers de
son utilisation militaire. Aussi les conclusions des stratèges britanniques
furent-elles mitigées. La nuée dérivante de chlore avait montré des
possibilités tactiques certaines mais sans déclencher un enthousiasme débordant.
L’immense espoir suscité par les gaz s’était évanoui. D’une manière générale,
et contrairement aux affirmations ultérieures du major Foulkes [347] ,
l’offensive chimique sur Loos était un échec. Certains auteurs [348] prétendirent même, au terme d’une exagération manifeste, que le chlore libéré
par les Special Companies fit presque autant de victimes parmi les fantassins
britanniques que chez les Allemands 259 . Ils
appuyaient leur thèse par le fait que le 7 e corps allemand, qui
occupait des positions au sud de Givenchy au moment de l’attaque, ne signala
que 106 gazés parmi ses effectifs, dont aucun ne décéda. Cette unité ne
constituait cependant qu’une partie du dispositif allemand et ces pertes
partielles n’autorisent pas une telle conclusion. La bataille de Loos eut
cependant une influence considérable sur les développements ultérieurs de la
guerre chimique. En effet, les protagonistes purent juger du rôle fondamental
de la surprise au cours d’une attaque par les gaz. Plus celle-ci était grande,
plus l’opération avait de chances d’aboutir. Deux idées-forces résultaient de
ce constat : d’une part, pour des actions offensives, il convenait autant
que possible de surprendre l’ennemi et, d’autre part, pour les actions
défensives, de
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