La grande guerre chimique : 1914-1918
légèrement du
sud-sud-ouest et sa direction était fluctuante. Je pris donc la décision de
stopper l’opération et informai les hommes de ne rien entreprendre sans de
nouveaux ordres. À cinq heures quarante, une mine explosait devant mes
positions. L’immense nuage qui suivit l’explosion confirmait ma conviction :
il ne serait pas raisonnable de déclencher l’offensive chimique. À cinq heures
quarante-huit, je reçus un appel de la brigade et signifiai au général que j’étais
dans l’impossibilité de lancer l’attaque. Il me répondit qu’il s’était déjà
entretenu du fait que le vent n’était pas idéal avec le général commandant la
2e division et qu’il avait tout de même reçu l’ordre de poursuivre les
opérations selon l’horaire prévu. Il m’ordonna donc de libérer le gaz. De retour
sur mes positions, je transmis l’ordre de procéder à l’ouverture des cylindres
à cinq heures cinquante-huit. » [336]
La 2 e division britannique vit le nuage
dérivant revenir sur ses positions au bout de quelques minutes. Dans les trois
semaines qui suivirent l’attaque, on dénombra 2 639 victimes
britanniques gazées par leur propre gaz. Entre 7 et 10 soldats décédèrent,
et 55 furent très gravement atteints. Cela n’améliora pas véritablement la
popularité de cette technique auprès des soldats et officiers alliés [337] .
Comme en témoigne ce rapport d’un fantassin de la 5 e brigade
qui se tenait au nord du canal de La Bassée, les conséquences furent, en
certains endroits, dramatiques :
« Une fois libéré, le gaz s’éloigna de nos tranchées
vers le nord-est et non vers l’est. Aucun problème ne survint avant six heures
vingt-cinq lorsque nos positions furent soudain noyées dans de lourdes volutes
de gaz venant de notre droite où elles s’étaient accumulées avant d’être
refoulées vers nos lignes. En l’espace de cinq minutes, nos deux compagnies ne
disposaient plus que de 9 hommes pour continuer les opérations. » [338]
Globalement, l’opération offrait un bilan contrasté et si l’on
considère les objectifs annoncés, ce fut même un échec [339] . Certes, les
forces alliées progressèrent au sud du front de 5 km, s’emparèrent de 18 canons
ennemis et firent plus de 3 000 prisonniers. En certains endroits, l’effet
de surprise fut même total, et désorganisa complètement les lignes allemandes.
La panique provoquée par le gaz fut similaire à celle que l’on avait observée
le 22 avril à Langemarck. Les fantassins allemands, dont un grand nombre
ne possédait pas de protection efficace, étaient impuissants et désemparés face
au nuage délétère. Les pertes furent importantes. Au sud du front, l’infanterie
anglaise suivit la nuée de quelques minutes et ne rencontra bien souvent que
peu de résistance. Les 15 e et 47 e divisions s’emparèrent
de Loos et parvinrent même jusqu’aux faubourgs nord de Lens à la mi-journée.
Malgré tout, la troisième ligne allemande stoppa la progression des fantassins
britanniques. Si l’échec final de l’offensive fut essentiellement imputable à l’absence
de renforts britanniques suffisants dans l’après-midi du 25 septembre, de
nombreux faits confirment les hypothèses émises par l’historien Robert Graves,
et plus particulièrement le fait que les Allemands savaient plus ou moins ce
que préparaient les forces britanniques. En effet, un rapport anonyme d’un
prisonnier allemand [340] ,
évoquant l’attaque chimique, soulignait que depuis le début du mois de
septembre 1915, les patrouilles allemandes entendaient régulièrement des
bruits de martèlement sur du métal. Ces sons répétés avaient, semble-t-il, levé
le secret. Bien sûr, à cette époque précise, les moyens de protection étaient
encore rudimentaires et il est clair que, même alertés d’une possible attaque
chimique britannique, les fantassins allemands ne pouvaient pas se protéger
efficacement contre le chlore. Il n’en reste pas moins que, prévenus, les
soldats ennemis pouvaient se préparer au mieux à ce qui les attendait. Dans son
édition du 28 septembre 1915, le Berliner Tageblatt relatait l’attaque
de la manière suivante : « Derrière la quatrième nuée de gaz,
émergèrent les fantassins britanniques en lignes denses. Ils apparurent
soudain, leurs visages mangés par des masques respiratoires, et ressemblant
plus à des diables qu’à des soldats. Ce furent là des
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