La grande guerre chimique : 1914-1918
météorologiques idéales, la compagnie C libéra
les gaz. Sidney Fox garda de cette offensive le souvenir d’une réussite sans
équivalent : « L’ensemble de l’opération constitua une expérience
étrange. L’absence totale de feu en provenance des lignes ennemies, le silence
absolu qui régnait sur le no man’s land et le spectacle des lourdes
volutes de gaz glissant lentement sur les tranchées adverses firent de ces
instants un moment inoubliable. Jamais auparavant je n’avais été en mesure de
me dresser debout sur le parapet de la sorte. Il n’y avait même pas la moindre
détonation audible depuis nos positions. » [425]
Somme toute, il est toujours très délicat de porter un
jugement fiable et définitif sur l’efficacité réelle des émissions de gaz
britanniques de 1916. Il y eut au cours de cette année 110 opérations
chimiques britanniques. Près de 1 200 t de gaz furent relâchées dans
l’atmosphère à partir de 38 600 cylindres [426] , soit une
moyenne de 9 à 10 t par attaque. À l’opposé des offensives chimiques
allemandes, en nombre réduit et consommant des quantités énormes de gaz, les
Britanniques avaient préféré des actions répétées mais limitées. Rien ne prouve
que cette option se soit révélée plus performante et l’on serait en droit de
penser le contraire. À l’instar du lieutenant-général Sir Henry
Wilson, qui commandait le 4 e corps sur la Somme, de nombreux
officiers supérieurs de l’armée de sa Majesté étaient indécis quant à l’utilité
tactique des gaz. Changeant d’avis à de nombreuses reprises, Sir Henry
Wilson finit cependant par conclure que, dans des conditions favorables, les
nuées dérivantes pouvaient être utiles pour des offensives réduites [427] .
Cependant, il était patent que dès la fin de l’année 1916, l’état-major
britannique avait renoncé à combiner des émissions de gaz avec des offensives d’infanterie
de large envergure. En fait, cette technique de dissémination des toxiques
était peu à peu devenue une arme d’opportunité et d’attrition, auxiliaire à des
offensives limitées ou indépendante de toutes autres actions. Dans cette
optique, elle pouvait jouer un rôle assez efficace mais en aucun cas décisif.
Au début de l’année 1916, la réorganisation des Special
Companies en Special Brigade n’avait pas véritablement résolu les problèmes de
commandement posés par l’éparpillement d’une large unité au sein des forces armées.
Les opérations de l’été avaient mis en évidence l’incapacité des commandants de
bataillon à exercer un réel suivi des activités de leurs hommes. De manière
progressive et non officielle, le bataillon, du moins en tant que formation,
tomba en désuétude et la compagnie devint alors l’entité opérationnelle
fondamentale des actions chimiques offensives. Au terme de la nouvelle réforme,
promulguée au mois de mars 1917, chacun des commandants des cinq Gas
Battalions était attaché à l’état-major d’une des cinq armées britanniques. Ces
hommes prirent le titre de « SCSC, SRE, 4 th Army »
(Commanding Special Companies, Royal Engineers, (attached to) 4 th Army) [428] ;
ils endossaient le rôle d’officiers de liaison entre l’armée à laquelle ils
étaient attachés et les Gas Companies qui étaient présentes dans le secteur du
corps d’armée. Les 16 compagnies de cylindres pressurisés, les 4 compagnies
de mortiers et la compagnie Z étaient dorénavant dépêchées en fonction des
demandes vers l’armée qui en faisait la requête expresse. Cette nouvelle
structure promettait une plus grande souplesse dans l’action. Sous cette forme,
une Gas Company comprenait environ 225 hommes. Les effectifs de la brigade
furent ainsi portés à près de 6 000 combattants. Cette réforme ne mit
cependant pas fin à la position administrative et organique plutôt floue de ces
unités. En effet, si d’un point de vue opérationnel les Gas Companies
dépendaient de l’armée à laquelle elles étaient rattachées, elles restaient
administrativement liées aux Headquarters Special Companies que dirigeait
Foulkes. Ce dernier reconnaissait lui-même que cette situation constituait un
écueil : « Cette position pourra en certaines occasions se révéler
délicate et il conviendra de déployer alors un grand tact afin de prévenir des
frictions trop sévères. » [429] La nouvelle organisation laissait supposer à un
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