La grande guerre chimique : 1914-1918
semblaient inépuisables. Le
capitaine Norman Campbell, qui commandait la compagnie N de la Special
Brigade, écrivait à sa femme : « L’infanterie n’a aucune raison
objective de nous aimer ; en fait, notre présence dans les tranchées
déclenchait même le mécontentement général. » [419] L’état d’esprit
qui régnait au sein de l’infanterie britannique était exacerbé par la multitude
d’anecdotes à propos de l’inefficacité des gaz alliés dont les fantassins
faisaient des gorges chaudes. La plus célèbre des plaisanteries qui circulaient
parmi les soldats relatait une offensive chimique alliée qui avait causé la
mort de 300 hommes de l’armée de sa Majesté ainsi que d’un Allemand,
décédé après avoir tant ri qu’il en oublia de revêtir son masque [420] .
De fait, le rapport du général Barrow (commandant en chef de la I re armée
britannique) au Chemical Adviser, daté du 18 août, exprimait l’opinion
générale d’un grand nombre d’officiers supérieurs britanniques :
« Voici ce qui semble devoir constituer les
avantages et les désavantages de l’utilisation des gaz depuis des cylindres
pressurisés. Avantages : pertes infligées à l’ennemi, effet sur son moral.
Désavantages : logistique énorme, dommages causés au parapet, danger pour
nos propres troupes, ne peut être utilisé qu’à certaines périodes, qui ne
peuvent être déterminées à l’avance ce qui pose d’importants problèmes
tactiques. Les avantages sont variables et incertains. Les pertes infligées à l’ennemi
et les effets sur son moral sont discutables. Les Allemands disposent
maintenant d’un bon masque (…) et les chances de les surprendre sont dorénavant
réduites. Les désavantages sont réels et indiscutables (…). Dans l’ensemble, la
valeur des attaques par nuées dérivantes est incertaine et les inconvénients
dépassent les avantages. » [421]
En raison des réticences de l’état-major britannique, les
émissions de gaz qui furent effectuées contre les lignes allemandes entre le 24
et le 28 juin 1916, lors de la bataille de la Somme, n’eurent aucun
impact militaire réel sur les opérations. Quantitativement, ce fut cependant
une des plus grandes opérations de ce genre menées au cours de la guerre. Le
nuage anéantit toute vie animale et végétale sur une profondeur de 15 km,
laissant derrière lui un paysage d’apocalypse. Foulkes citait ainsi les propos
du correspondant de guerre du Frankfurter Zeitung dans son compte rendu
de l’attaque : « Des milliers de rats et de souris morts ont été
trouvés dans les tranchées après l’attaque. Les hiboux paraissaient
anormalement excités. En arrière du front, les canards et les volailles s’immobilisèrent
un quart d’heure avant le passage du nuage, et le gaz tua les papillons, les
fourmis et les scarabées ainsi qu’une grande partie des insectes. J’ai
également trouvé une fouine et un hérisson tués par les gaz. Les seuls oiseaux
apparemment insensibles aux gaz étaient les hirondelles. » [422] Malheureusement, le nuage précéda la charge de l’infanterie de plus de quatre
jours, et ne semble pas avoir influé véritablement sur le cours de la bataille [423] .
Cette attaque, dont on ne connaît pas les résultats tangibles sur les
fantassins allemands, fut suivie d’une cinquantaine d’opérations anglaises
mineures de même type lors des deux premières semaines de la bataille de la
Somme. Près de 1 500 t de phosgène furent ainsi relâchées dans l’atmosphère
par la Special Brigade en l’espace de deux mois [424] .
À l’automne, quelques succès permirent toutefois au major
Foulkes de redorer le blason de ses unités. Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1916,
près de Hulluch, la compagnie C de la Special Brigade mena la plus grande
offensive chimique par vagues lancée par une seule unité jusqu’à cette date. Le
commandement de cette compagnie était assuré par un jeune officier de 35 ans,
le capitaine Thomas Henry Davies, un des hommes de confiance du major
Foulkes, lui aussi particulièrement enthousiaste à l’endroit des nuées
dérivantes. Le capitaine Davies mit sur pied une opération qui devait
comprendre trois émissions successives de White Star : la première à 20 heures
avec 917 cylindres, la deuxième à 20 h 45 avec 555 cylindres
et, enfin, la dernière à 22 h 30 avec 1 055 cylindres. À l’heure
prévue, dans des conditions
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