La grande guerre chimique : 1914-1918
présentaient de réels dangers pour les attaquants
eux-mêmes. Dès 1916, les progrès des protections respiratoires cantonnèrent les
nuées dérivantes à une utilisation plus psychologique que réellement offensive.
L’objectif devenait le harcèlement des troupes ennemies, non seulement à cause
des pertes que l’on pensait infliger à l’adversaire, mais surtout en raison de
l’effet démoralisant de ces attaques. Si la technique des nuages dérivants
survécut jusqu’à la fin de la guerre, la fréquence des attaques diminua
progressivement à partir de la fin 1916 chez l’ensemble des protagonistes,
excepté la Grande-Bretagne. À partir de 1916, au terme d’une véritable course à
l’armement chimique entre les belligérants, la guerre des gaz prit
progressivement une nouvelle forme. Le développement technique des armes chimiques
suivit deux voies différentes mais complémentaires. Le but ultime de la
recherche scientifique était bien évidemment d’accroître le potentiel tactique
de ces armes ainsi que leur souplesse opérationnelle. Ce dessein pouvait être
poursuivi de deux manières : en premier lieu, en améliorant les mécanismes
de dispersion et de dissémination, c’est-à-dire les vecteurs, mais aussi en
utilisant des agents chimiques de plus en plus nocifs.
L’amélioration des mécanismes de dissémination des gaz
Dès 1915, les scientifiques allemands menaient,
parallèlement aux attaques de gaz dérivants, des études sur des projectiles
chimiques contenant des agents irritants et lacrymogènes. Au cours de l’été 1915,
les forces allemandes furent équipées de projectiles pour mortiers de divers
calibres. Ces mortiers présentaient l’avantage de pouvoir projeter des
quantités plus importantes de gaz directement sur les lignes ennemies. Ce type
d’artillerie légère, grâce à son tir courbe, pouvait frapper des positions
ennemies éloignées d’à peine cinquante mètres. De plus, la structure des
projectiles n’exigeait pas une extrême rigidité et les premiers exemplaires de
ces munitions n’étaient rien d’autre que des munitions conventionnelles dotées
de récipients constitués de bois et de métal enrobés d’explosifs qui
contenaient les substances lacrymogènes ou irritantes [461] . Les artilleurs
britanniques développèrent quant à eux un mortier de 106 mm (4 inches)
conçu spécifiquement pour la guerre chimique. Ceci constituait une première.
Ces mortiers, dénommés Stokes mortars en hommage à leur concepteur
Wilfred Stokes, pouvaient projeter au rythme de 20 coups à la minute, et
jusqu’à une distance de 1 000 m, des bombes contenant 3 à 4 kg d’agent
délétère, généralement lacrymogène. Leur usage fut généralisé vers le mois d’octobre 1915.
Ils présentaient l’avantage d’être extrêmement mobiles, souples d’utilisation,
et permettaient en un temps très court de réaliser en un point donné des
concentrations importantes de gaz. Leur seul défaut tenait dans une portée de
tir réduite.
Naissance et essor de l’artillerie chimique
Les contingences liées à la force du vent et à sa direction
amenèrent les Français et les Allemands à développer une forme alternative et
surtout plus souple de dissémination des agents toxiques, l’obus chimique.
Selon l’état-major allemand, la pratique des nuées dérivantes avait démontré qu’il
était fort difficile d’obtenir des gains importants au moyen de cette
technique. De plus, l’ampleur des moyens à mettre en place pour la réaliser était
démesurée au regard des possibihtés offensives offertes et surtout des
incertitudes météorologiques. Pour ces raisons, les Allemands utilisèrent ce
procédé dans le but d’user la résistance de l’ennemi et sans faire suivre le
passage du nuage toxique d’une offensive massive.
Les premiers mois de l’année 1916 constituèrent un tournant
dans la guerre chimique. La plupart des belligérants, conscients des limites de
la technique des nuées dérivantes, mais percevant confusément les perspectives
militaires offertes par les gaz, recherchaient un vecteur de dissémination des
toxiques offrant plus de souplesse opérationnelle. L’obus chimique semblait
réunir ces qualités. Cette forme de dispersion des gaz, malgré ses
imperfections, séduisait particulièrement les états-majors, et emporta les
réticences initiales. Sous cette forme, l’arme chimique pouvait aisément être
intégrée à une action
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