La grande guerre chimique : 1914-1918
offensive, la direction et la force du vent étaient
secondaires, et les contingences logistiques considérablement réduites. Progressivement,
l’obus chimique devint le principal vecteur de la guerre chimique.
Tous les projectiles chimiques utilisés lors du conflit
contenaient une charge d’explosif destinée à disséminer les gaz. Le problème
consistait à moduler la puissance de cette charge en fonction de l’agent
chimique contenu dans la munition. En effet, une charge trop importante avait
pour conséquence de vaporiser le toxique sur un volume énorme et de réduire
ainsi considérablement son efficacité, alors que l’inverse, c’est-à-dire une
quantité d’explosif insuffisante, provoquait son accumulation en flaques
inoffensives dans le trou formé par la déflagration. En outre, plus l’agent
toxique était volatil, moins la charge explosive devait être importante. Notons
au passage que même à la fin de la guerre, les obus chimiques ne donnaient pas
pleine satisfaction et que leur efficacité pouvait être largement améliorée.
Les ingénieurs en furent toujours conscients mais il fallut attendre les années
qui suivirent la guerre pour que l’on élabore des projectiles chimiques d’un
rendement optimum. En effet, sur le champ de bataille, il était nécessaire de
noyer de très importantes superficies sous des concentrations élevées de
toxiques, ce qui exigeait une précision et une cadence de tir élevées. La
science contemporaine mais surtout le manque de temps ne permirent pas la
conception de telles munitions. Ainsi, sur la plupart des pièces de plus de 200 mm,
il était impossible de dépasser la cadence de 1 à 2 coups à la minute.
Ajoutons que la plupart des munitions chimiques étaient peu performantes. « La
grande majorité des obus chimiques de la Première Guerre mondiale était dotée
de fusées explosives à percussion dont le temps de réaction était relativement
important. La majeure partie du toxique était donc enfouie dans le sol au
moment de la détonation et s’accumulait parfois en flaques sur le sol. » [462] Le projectile
idéal, qui faisait l’objet de recherches intensives de la part des ingénieurs
allemands, exploserait à quelques mètres au-dessus du sol, libérant ainsi sa
charge chimique avec une efficacité redoutable. Ce résultat ne put être
approché avant que ne cessent les hostilités.
La charge chimique des premiers obus chimiques qui
contenaient des lacrymogènes ne représentait que de 5 à 6 % du poids total
de la munition. Seul l’obus français de 75 mm, pourtant conçu pour une
charge explosive conventionnelle, avait une capacité chimique équivalente à 10 %
du poids du projectile. Ce facteur totalement fortuit, qui améliorait
évidemment l’efficacité de la munition chimique, peut sans doute expliquer
partiellement l’intérêt précoce des autorités françaises pour l’artillerie
chimique. L’autre raison qui poussa les militaires français à se pencher sur ce
vecteur de dissémination était la large production industrielle de l’obus de 75 mm.
Contrairement aux Britanniques, qui furent confrontés jusqu’en 1916 à d’importantes
difficultés industrielles dans la production de leurs munitions d’artillerie,
les Français disposaient d’une certaine souplesse dans ce domaine et cela était
particulièrement vrai pour le calibre du canon de campagne. Ce facteur
autorisait que l’on consacre plus aisément une petite partie de la production
des obus à des initiatives ou des expériences que l’on considérait comme
prometteuses.
En juillet 1915, les autorités françaises décidèrent la
création des premières lignes de production de munitions chimiques [463] :
la première à Aubervilliers pour les gaz suffocants, la seconde à Vincennes
pour les gaz lacrymogènes. Moins d’un an plus tard, la chaîne d’Aubervilliers
produisait déjà 31 000 obus par jour. Les installations britanniques
de Watford et Walthamstow ne commencèrent à fonctionner qu’en février 1916 [464] .
De plus, dans la mesure où l’artillerie chimique occupait une place réduite au
sein des forces britanniques, la production était artisanale et donc
relativement réduite. En décembre 1915, la production allemande d’obus
chimiques s’élevait à 24 000 obus par mois, la production française à
15 800 [465] ,
alors que les Britanniques en étaient encore à rédiger les bordereaux de
commande de 10 000 obus
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