La grande guerre chimique : 1914-1918
d’efforts. Après de nouveaux essais à Satory et à Mailly au cours
des mois de janvier et février 1916, l’obus français, qui reçut la
dénomination obus n° 5, fut déclaré bon pour le service. Cet obus
(dans sa version 75 mm) contenait environ 0,6 kg de phosgène. Sa
toxicité était inégalée et son usage ne demandait aucune logistique
particulière puisqu’il était tiré à partir de pièces conventionnelles. Les
fantassins allemands apprirent rapidement à connaître ce nouveau projectile, et
un officier du 8 e régiment d’infanterie bavaroise notait que :
« Le gaz est inodore et ne peut être vu que par des yeux exercés au moment
de la détonation. Il s’échappe alors vers le sol dans un reflet bleuté et étend
raide morte toute personne n’ayant pas revêtu son masque avant de respirer. » [479] Le phosgène,
dont la rapidité d’action n’était pas aussi terrible que l’officier bavarois le
pensait, allait cependant devenir le principal agent chimique utilisé dans les
munitions alliées jusqu’en 1918. En février 1916, les chimistes français
expérimentaient déjà plus de neuf types d’obus chimiques dont deux étaient
considérés comme létaux [480] .
Il reste très difficile de dater précisément la première
utilisation de l’obus n° 5. Rudolf Hanslian [481] prétend qu’elle
eut lieu dans la nuit du 21 février 1916. Cependant, ses sources
restent relativement obscures. Un document français sibyllin laisse à penser
que des tirs expérimentaux sur les lignes allemandes eurent lieu vers la
mi-janvier 1916 [482] .
Les archives françaises ne permettent malheureusement pas d’être plus précis.
La seule chose certaine est que la pénurie relative de munitions
conventionnelles avant la bataille de Verdun accéléra la délivrance de l’autorisation
officielle d’utiliser ces obus emplis de phosgène. Cette dernière fut délivrée
le 18 février 1916 [483] , trois jours
avant le début des combats. Verdun fut ainsi la première bataille de l’Histoire
à connaître l’utilisation d’obus chimiques létaux. Les militaires français sont
considérés, à juste titre d’ailleurs, comme les pionniers de l’artillerie
chimique. Il est vrai que l’utilisation au cours de l’hiver 1916 dans la
région de Verdun des premiers obus emplis de phosgène constitua une date
doublement marquante de l’histoire de la guerre chimique. L’innovation était
technique certes, mais elle marquait également la première violation
indiscutable de la Convention de La Haye de 1899, qui prohibait l’utilisation
« de projectiles dont le seul objectif est de diffuser des gaz asphyxiants
ou délétères » [484] .
Cette considération, dont les autorités françaises avaient bien évidemment
conscience, expliquait probablement, en plus de l’urgence dans laquelle cette
utilisation fut décidée lors de la bataille de Verdun, l’absence relative d’archives
françaises à propos des premiers tirs de ces munitions. On notera cependant que
l’innovation française s’inscrivait dans une évolution « naturelle »
dans la mesure où les programmes allemands d’obus létaux étaient, à cette date,
également fort avancés, comme le démontrera la promptitude de leur riposte.
La première réplique allemande consista à améliorer les
performances de leurs obus irritants sans en modifier véritablement la
structure interne. Ainsi, les projectiles chimiques allemands (K et T-stoff) furent remplacés par des versions améliorées, largement plus toxiques. Le K2-stoff libérait du chloroformiate d’éthyle trichloré ou diphosgène, moins
volatil que le phosgène mais également moins toxique. En effet, malgré sa
toxicité, le phosgène présentait des inconvénients dont ceux, en cas d’intoxication
mineure, de n’agir que quelques heures après son inhalation et de poser des
difficultés de manutention. Les Allemands adoptèrent donc le diphosgène qui
permettait de réduire ces impondérables. En effet, les chimistes de Berlin
craignaient que des produits très volatils comme le phosgène ne donnent lieu,
dans leur obus à ogive ou culot rapporté, à des fuites dangereuses. Le
diphosgène, dont le point d’ébullition était plus élevé, évitait ces inconvénients.
Cependant, le diphosgène était beaucoup plus difficile à synthétiser que le
phosgène et il était également moins toxique. Le choix du diphosgène relevait
donc de considérations liées
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