La grande guerre chimique : 1914-1918
[497] . Cependant,
cette explication ne serait pas complète si l’on omettait de préciser que l’évaluation
tactique de la technique des nuées dérivantes par le commandement britannique
différait complètement de celle de l’OHL. Non seulement les Anglais, à cause de
l’influence du major Foulkes, ne remettaient pas en cause les performances
offensives des nuages toxiques et s’accommodaient de l’énorme labeur que
nécessitaient de telles opérations, mais ils n’avaient pas à pâtir,
contrairement aux Allemands, des vents généralement défavorables.
Si, à la fin de l’année 1916, les ingénieurs allemands
avaient amélioré la structure interne de leurs obus chimiques en réduisant la
quantité d’explosif nécessaire à un fonctionnement optimum, il fallut attendre
mars 1917 pour que les artilleurs allemands soient équipés d’un projectile
de la qualité des munitions françaises. Sa forme était oblongue et ses parois
nettement plus fines. La version de calibre 77 qui équipait le canon de
campagne allemand contenait 1 kg de diphosgène [498] , contre 0,6 kg [499] dans son ancienne configuration [500] . Cette
augmentation de la contenance des munitions chimiques n’avait été obtenue qu’au
prix d’une amélioration continuelle des mécanismes de dissémination des agents
chimiques. Ainsi, alors que la version de 1915 de l’obus T-stoff de 150 mm
contenait 1,5 kg d’explosif pour 3,1 kg de substances délétères,
celle de la munition croix verte de 1917 ne renfermait que 1,1 kg
d’explosif pour 6,5 kg de diphosgène [501] . Les munitions
alliées évoluèrent également vers ces ratios. Les premiers obus croix jaune allemands ne contenaient pas d’explosif autour de l’ogive chimique. Pour cette
raison, les soldats expérimentés pouvaient distinguer l’utilisation de ces
projectiles au son caractéristique de sa détonation ; un son étouffé,
nettement moins puissant qu’une munition conventionnelle. Pour le gaz moutarde,
les chercheurs allemands réalisèrent dans les derniers mois du conflit qu’il
convenait d’employer des obus à diaphragme contenant une charge explosive (ou Zwischenbodengeschoss), ce qui avait pour effet de vaporiser le toxique en
un nuage de fines gouttelettes dont les effets étaient bien plus terribles. La
dernière version de l’obus croix jaune, appelée double croix jaune, de 150 mm, contenait dans son ogive une charge d’amatol (près de 1,2 kg),
un explosif extrêmement puissant. À la détonation, la charge vaporisait les 3 kg
d’ypérite en fines gouttelettes en les projetant au-dessus du sol [502] .
Ce projectile, qui était doté d’un tube central explosif, avait la
particularité, au moment de la détonation, de faire sauter le culot de l’obus
et de projeter ainsi les substances chimiques vers l’arrière de la munition (c’est-à-dire
vers le ciel), ce qui décuplait le rendement des agents toxiques. En effet,
grâce à cette ingénieuse innovation, les ingénieurs allemands étaient parvenus
à limiter l’enfouissement des substances chimiques. D’un point de vue
technique, ce fut là, sans aucun doute, l’obus chimique le plus achevé et le
plus efficace de la guerre. Ces obus présentaient de plus un avantage non
négligeable : le bruit produit par leur explosion ne les distinguait pas
des obus explosifs conventionnels. « Les combattants n’étaient ainsi plus
prévenus de l’arrivée d’obus toxiques par l’audition de très faibles
détonations. » [503] La production de ce projectile débuta à la fin de l’année 1917 et atteignit 200 000 exemplaires
par mois au début 1918.
Les ingénieurs qui œuvraient dans chaque camp à la
réalisation des munitions chimiques étaient conscients que l’une des
difficultés les plus délicates à surmonter était de pouvoir accélérer la
détonation de l’obus au moment de l’impact afin d’éviter l’enfouissement dans
le sol des substances chimiques contenues dans le corps de la munition, ce qui
réduisait largement les concentrations efficaces obtenues. La solution idéale
était évidemment celle d’un projectile dont la détonation aurait lieu quelques
mètres au-dessus de l’objectif. Malgré les recherches actives menées dans ce
domaine, aucun résultat probant ne fut obtenu avant la fin du conflit. Les
fusées retardatrices, pourtant déjà utilisées pour les shrapnells, étaient inopérantes en raison des perturbations balistiques
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