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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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plaisir dont le nombre ne cessait d’augmenter à Shanghai. Les étrangers, dont la solvabilité était préalablement vérifiée, y étaient reçus comme des princes. Cette formalité accomplie, Antoine avait été installé derrière le rideau d’une alcôve par une vieille tenancière au visage rabougri outrageusement maquillé. Juchée sur des pieds minuscules qui accentuaient sa démarche sautillante, la patronne lui avait indiqué avec emphase qu’il aurait droit au « grand jeu   ». Quelques instants plus tard, quatre filles entièrement nues s’étaient glissées contre lui. Contrairement aux prostituées françaises, elles avaient de douces manières et n’exigeaient rien de particulier. Antoine n’avait eu qu’à se laisser faire et les illustrations licencieuses de Fleur de Pêcher dans la Fiole d’Or , qui l’avaient fait tellement rêver au cours de sa jeunesse, avaient soudain pris corps. Malaxé et caressé de pied en cap, léché et sucé comme un bonbon, elles lui avaient tout offert et il s’était tout permis.
    Au comble du ravissement, il s’était empressé de renouveler l’expérience dès le lendemain. Et à Shanghai, à cet égard, les amateurs de bagatelle avaient l’embarras du choix. Aller aux filles était aussi banal que dîner au restaurant. Dans le domaine sexuel, les goûts des Chinois étaient fort différents de ceux des Français. Certains frisaient même l’étrangeté, comme cette attirance pour les pieds cassés.
    Désireux de ne pas s’en tenir aux plaisirs charnels et tout à son avidité de connaître la réalité intime de la Chine après avoir passé tant d’années à l’étudier dans les livres, Antoine Vuibert avait également décidé de mettre à profit son temps libre pour partir à la découverte des couleurs et des saveurs de la cuisine de cet immense pays, où une belle couche de sauce laquée écarlate vous transformait un banal poisson de rivière en dragon surgissant du fond des abysses dont la gueule ouverte semblait sur le point de cracher des flammes. Parfois, il fallait avoir l’estomac bien accroché. Par exemple, lorsque les minuscules crevettes de rivière plongées vivantes dans le bouillon parfumé à la menthe par un serveur sourire en coin vous sautaient à la figure lorsque celui-ci soulevait quelques instants plus tard le couvercle de la marmite, ou bien lorsqu’il s’agissait d’ingurgiter les tronçons de serpent découpé vivant et fricassés dans le wok avec de l’ail qui continuaient à palpiter dans votre bouche, et bien sûr pour être capable de manger la cervelle sanguinolente d’un singe préalablement décalotté vivant.
    Antoine avait appris qu’il eût été inconvenant de refuser de toucher à ces mets d’exception que les convives payaient fort cher et dont le cuisinier venait, au début du repas, vanter à la tablée les vertus aphrodisiaques.
    Désireux de ne rien écarter de l’éventail des sensations offertes par la Chine à ses visiteurs étrangers, le jeune Français avait tenu à essayer l’opium.
    Cette drogue ne pouvait pas être réduite à un simple poison. Sinon comment expliquer l’engouement dont elle faisait l’objet   ? Pourquoi ses consommateurs étaient-ils prêts à vendre femme et enfants pour s’acheter la dose quotidienne de ce que son professeur Stanislas Julien qualifiait d’« agent du suicide heureux   »   ? Quel sorte de plaisir l’extrait du pavot procurait-il à ceux qui l’utilisaient   ?
    Mais il gardait de cette expérience un souvenir si cuisant qu’il s’était juré de ne plus jamais recommencer.
    À Shanghai, on trouvait l’opium non seulement dans les fumeries qui restaient ouvertes jour et nuit, prêtes à accueillir bras ouverts tous les Occidentaux dont le porte-monnaie était suffisamment garni, mais aussi dans les maisons de plaisir où il était proposé aux clients à l’issue de leurs ébats avec les filles.
    Pour assouvir sa curiosité, Antoine n’avait pas fait les choses à moitié : il s’était rendu à la plus grande fumerie de Shanghai, le Palais du Dragon d’Or. L’établissement, situé à deux pas de la concession anglaise, occupait une vaste maison patricienne dont les trois étages pouvaient accueillir une bonne centaine de clients en même temps. Il y était entré le cœur battant d’excitation. Une fois à l’intérieur, on y était saisi par l’odeur de l’opium, une odeur subtile et indéfinissable, reconnaissable entre

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