La guerre de l'opium
les régions de l’espace intérieur dans le « sans-avoir », tel doit être à présent votre but… Purifiez votre vision du mystère afin qu’elle devienne sans distorsion…
Une fois sorti du temple du Mystère, il s’était senti un peu infirme et somme toute incapable de comprendre la complexité de ce qu’il avait vu et entendu. La spiritualité chinoise avait commencé par lui paraître aussi bizarre qu’inaccessible. Au jeune homme avide de croquer la vie à pleines dents, se dépenser sans compter pour trouver la recette de la paix intérieure, célébrer l’espace du « sans avoir » et viser le « non-agir » paraissaient des attitudes pour le moins paradoxales.
Comment aurait-il pu savoir, au demeurant, que l’évidence finirait, un jour lointain, par s’imposer à lui que les hommes ont le choix entre deux voies, l’une qui consiste à « exister » et l’autre à « désirer » ? Comment pouvait-il deviner qu’entre « être » et « avoir », il faut nécessairement choisir car l’une et l’autre voies ne sont pas compatibles ?
Elles sont même exclusives l’une de l’autre. Plus on possède et plus on en veut… plus on a et plus on souffre de ne pas avoir plus. Exister, c’est aussi savoir renoncer aux choses pour être plus libre de ses faits et gestes…
Revenu s’asseoir sur son banc, il était toujours perdu dans ses pensées et s’apprêtait à peler une orange lorsqu’il sentit une main lui tapoter l’épaule.
Il sursauta et, vivement, se retourna, prêt à défendre chèrement sa peau si un malandrin avait décidé de le détrousser.
Ce n’était que Freitas.
— Vous m’avez fait peur ! lâcha Antoine, soulagé.
La mine sombre du jésuite témoignait de sa vive inquiétude.
— J’ai de mauvaises nouvelles pour vous, monsieur Vuibert, souffla-t-il d’un air catastrophé.
— Ah bon ?
— Le ministère français des Affaires étrangères a différé l’arrivée en Chine de M. de Montigny… murmura le jésuite avec des airs de conspirateur.
Le Français s’attendait à pire.
— Vous ne m’étonnez pas ! Depuis le temps que Paris ne me donne aucune nouvelle ni instruction… Au fait, comment l’avez-vous appris ?
— Notre source à Paris… J’ai reçu l’information par courrier ce matin même et j’ai jugé utile de vous en faire part tout de suite… répondit Freitas qui continuait à s’exprimer à voix basse, comme s’ils étaient cernés par des oreilles ennemies.
Antoine ramassa un petit caillou et le lança dans le canal où il fit des ronds que la ruée des carpes, persuadées qu’il s’agissait de nourriture, dissipa rapidement.
— Depuis mon arrivée ici, le ministère des Affaires étrangères brille par son silence… À se demander s’ils ne se sont pas fichus de moi en m’envoyant ici… Il va falloir que je songe à me reconvertir… lâcha Vuibert sur un ton qui se voulait détaché mais qui cachait mal une certaine désillusion.
Il repensait aux propos du ministre Guizot et à ses envolées lyriques au sujet de l’importance de la présence de la France en Chine. Décidément, les hommes politiques changeaient d’avis comme de chemise et leurs promesses n’engageaient que ceux qui les recevaient !
— Vous parlez sérieusement ? demanda Freitas, agréablement surpris par l’effet de ses propos.
— Pourquoi en douteriez-vous ? Je ne vais tout de même pas attendre indéfiniment une personne qui risque de ne jamais venir !
— Que comptez-vous faire ?
— Plein de choses. Ce ne sont pas les opportunités ni les envies qui me manquent…
Le jésuite se racla la gorge.
— Vous souvenez-vous de Jack Niggles ?
— L’Anglais qui dirige la compagnie Jardine ?
— C’est cela même…
— Et alors ?
— Et bien, si vous voulez tout savoir, il est bigrement intéressé par un contact !
— J’en suis surpris et honoré… Je crains toutefois de ne pas être d’un grand secours à un tel monsieur ! répondit sobrement le Français.
— Votre modestie vous honore, monsieur Vuibert. Sachez tout de même que M. Jack Niggles ne laisse rien au hasard…
— Vous voulez dire qu’il a des idées pour moi…
— Avec des gens de la trempe de Niggles, rien n’est jamais totalement gratuit ! S’il a exprimé devant moi le souhait de vous connaître, ce n’est évidemment pas pour rien… surtout
Weitere Kostenlose Bücher