La guerre de l'opium
Elliott, ai-je cru nécessaire de vous avertir ! conclut La Pierre de Lune en s’efforçant d’adopter le ton le plus péremptoire possible.
— Tu as rudement bien fait… Droit Devant ! s’écria Rosy, pleine de reconnaissance envers ce jeune Chinois si soucieux de ses intérêts.
Derrière eux, Antoine Vuibert, sous le charme, tentait de nouer connaissance avec Laura Clearstone. L’apprenti diplomate brûlait d’en savoir plus sur les raisons de la présence au consulat de cette jeune Anglaise à la splendide et lumineuse chevelure.
— Je vous trouve bien curieux, monsieur… Je ne suis ni la première ni la dernière Anglaise de mon âge foulant le sol de Chine à se rendre chez un marchand d’antiquités… finit-elle par lâcher, légèrement agacée, après qu’il l’eut bombardée de questions auxquelles elle s’était contentée de répondre par un sourire énigmatique.
— Il n’empêche, je suis fasciné ! lâcha Antoine qui s’employait à jouer les séducteurs, avant de manquer de s’étaler de tout son long dans la flaque de boue que Rosy Elliott avait réussi à franchir, son pied ayant glissé par mégarde sur une peau de mangue.
— À Canton, il faut regarder où l’on met les pieds ! lui lança Laura d’un air pincé.
Il la trouvait de plus en plus adorable… désirable, même !
— C’est la faute de mes yeux ! Ils sont toujours attirés par ce qui est joli…
— Je ne vois vraiment pas où vous voulez en venir ! souffla la jeune femme avant de le planter là pour aller rejoindre La Pierre de Lune qui continuait à ouvrir la marche avec la femme du consul d’Angleterre.
Furieuse, elle souffla à son amant :
— Ce Français est le dernier des goujats ! Il m’a soumise à un véritable interrogatoire. Crois bien que je ne me suis pas laissé faire.
— Il m’a l’air surtout d’en pincer pour toi… Je l’ai remarqué à son regard, quand il t’a dévisagée pour la première fois dans le salon du consul…
— Je déteste ces types qui se prennent pour le nombril du monde sous prétexte qu’ils ont une belle gueule ! Heureusement que tu n’es pas comme ça ! lâcha-t-elle, ce qui manqua de le faire pouffer de rire.
Par prudence, il se retint. Ce n’était ni le lieu ni le moment d’étaler sa complicité avec Laura au grand jour…
La pluie avait recommencé à tomber dru et, lorsqu’ils arrivèrent un quart d’heure plus tard chez Sérénité Accomplie, après un éprouvant parcours dans des ruelles transformées en torrents de fange, ils étaient trempés jusqu’aux os et crottés jusqu’à la ceinture. Après leur avoir fait ôter leurs chaussures, l’antiquaire les laissa entrer dans sa réserve. Dans un silence religieux, deux assistants y époussetaient de superbes porcelaines bleu et blanc d’époque Ming, un genre de vaisselle fabriqué par les Chinois dès le début du XIVe siècle, qui les exportaient - via les Compagnies des Indes - vers l’Europe où elles étaient très prisées. Leur fabrication supposait une maîtrise parfaite des procédés de cuisson, la poudre de cobalt utilisée pour leur décor étant susceptible de virer du bleu au noir au moindre écart de température.
— Sérénité Accomplie, je vous présente un ami, M. Niggles… M. Niggles aime beaucoup les antiquités chinoises ! Droit Devant, vous êtes prié de traduire ! lança fièrement Rosy Elliot, auprès de laquelle se tenait La Pierre de Lune.
L’antiquaire inclina légèrement la tête en direction du marchand d’opium et dit avec emphase :
— Très honoré de faire votre connaissance, monsieur Niggles. Vous êtes ici le bienvenu. Faites comme chez vous !
La femme du consul prit la pose et déclara, telle une actrice déclamant son rôle :
— Nous sommes là pour faire le choix définitif et conclure la transaction… L’essentiel du travail a déjà été fait !
— C’est le genre de tâche dont il vaut mieux s’acquitter sur place, devant les objets recherchés, plutôt que par correspondance, répondit sobrement l’antiquaire en se forçant à sourire.
L’arrogance de Rosy Elliott lui restait en travers de la gorge.
Il faut dire que la grosse Anglaise était de plus en plus excitée et sûre de son fait, allant d’une table à l’autre comme si elle était chez elle, soupesant et palpant une à une toutes les raretés qui s’y étalaient comme si elles lui
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