La guerre de l'opium

antiquaire… Qu’en pensez-vous   ?
    —  Du bien… du bien, heuh   !… monsieur Niggles… bredouilla Antoine.
    —  Vous n’avez pas l’air motivé, mon cher…
    —  Tout ceci est très nouveau pour moi, monsieur Niggles…
    —  Moi qui pensais que vous vouliez devenir mon associé dans le commerce des antiquités   ! lâcha, d’un air pincé, Jack.
    Il avait bien réussi son coup puisque, sur-le-champ, tel un élève pris en faute, le Français esquissa devant lui une sorte de garde-à-vous et lui déclara d’une petite voix :
    —  Je continue à le souhaiter, monsieur Niggles, et je vous prie de m’excuser… J’avais l’esprit ailleurs.
    —  Cela ne m’avait pas échappé… Dans la vie, mon cher, si on veut réussir, il faut savoir persévérer… Toujours persévérer… lui lança le marchand d’opium en riant jaune.
    En fait, si Jack ne s’était pas contenu, il eût laissé exploser sa colère. Il enrageait. N’ayant pas ménagé sa peine, à coups de sous-entendus, d’œillades et de gâteries prodiguées tout au long du voyage, pour faire comprendre à Antoine qu’il ne lui était pas indifférent, c’était peu dire qu’il voyait d’un mauvais œil la transformation qui s’était opérée chez son protégé au moment où Laura avait fait son entrée dans le salon du consul Elliott. L’idée que baby face pouvait lui échapper au profit de cette jeune compatriote lui était à proprement parler insupportable.
    Rosy revint vers eux, une soupière de la Compagnie des Indes à la main.
    —  Que diriez-vous de ce service, Jack   ? Il comprend deux cent trente pièces. Je suis sûr qu’il plaira à notre gentry   ! De plus, cette vaisselle se mélange fort bien avec les « bleu et blanc   »…
    —  Pourquoi pas… répondit distraitement l’intéressé.
    Mais peu importait à la femme du consul. Toujours infatigable, elle était passée à un minutieux comptage de tous les disques de jade de Sérénité Accomplie lorsqu’elle fut interrompue dans sa tâche par le retour de celui-ci.
    —  Allez, demande-lui vite où nous en sommes   ! hurla-t-elle à l’attention de La Pierre de Lune, sans même jeter un regard à l’antiquaire.
    Le jeune Chinois se tourna vers celui-ci et traduisit la question. La réponse de Sérénité Accomplie fut immédiate.
    Et pour le moins cinglante.
    —  Nous en sommes au point où je ne souhaite plus vendre ma marchandise à des nez longs qui se croient en terrain conquis   !
    Après quelques secondes d’hésitation, La Pierre de Lune ne put faire autrement que de traduire ses propos.
    —  Regardez un peu la tête de Rosy Elliott… souffla Antoine à l’attention de Laura lorsque le jeune Chinois eut achevé sa traduction.
    Il est vrai que la femme du consul, dont le visage avait instantanément viré à l’écarlate, dodelinait de la tête comme si elle avait reçu une grosse paire de claques. Face à elle, Sérénité Accomplie, mâchoires serrées et l’air buté, ne pipait mot et la défiait du regard.
    —  Si j’étais à la place de cet antiquaire, j’agirais de même. Je trouve cette femme d’une grossièreté révoltante   ! chuchota la jeune Anglaise au Français.
    —  C’est également mon avis. Comme on dit chez nous, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre… convint celui-ci.
    Après quelques instants de stupeur qui l’avaient laissée pantoise, Rosy alla se planter, furibarde, sous le nez de l’antiquaire. Ses yeux roulaient de Niggles à Sérénité Accomplie. Elle jouait gros et savait que sa crédibilité était en jeu. Si l’antiquaire persistait dans son refus, elle pouvait dire adieu aux facilités de transport qu’elle comptait obtenir de la part du directeur de Jardine & Matheson, aux yeux duquel elle aurait définitivement perdu la face.
    —  Vous devriez réfléchir. Et si votre prix était le mien   ? Un acheteur susceptible d’acquérir d’un seul coup tout votre stock au prix que vous souhaitez, croyez-moi, ça ne court pas les rues   ! insista-t-elle, radoucie.
    C’est alors que le verdict tomba, prévisible, de la bouche de Sérénité Accomplie :
    —  Ce n’est pas une question de prix, madame. Inutile d’insister. Une fois pour toutes, nous en resterons là   ! lâcha-t-il avant de s’éclipser rapidement.
    Rosy Elliott blêmit un peu plus et accusa le coup.
    —  Ne pensez-vous pas que nous avons suffisamment perdu notre temps, madame Elliott   ? lui