La guerre de l'opium

sérénité qui habitait la danseuse.
    Tang, ravi et subjugué au point d’avoir oublié toute rancœur à l’égard du gros Mandchou, ne rêvait que d’une chose, c’était d’entrer dans l’univers de la jeune femme.
    Avec cette fille, il tenait enfin ce qu’il cherchait depuis des mois : une proie sur laquelle l’empereur Daoguang se jetterait à coup sûr avec avidité ; un trophée de chasse que le Fils du Ciel lui saurait gré de lui avoir fourni ; l’occasion, enfin, d’avoir un entretien en tête à tête avec lui…
    Avec un corps aussi harmonieux et souple, cette Jasmin Éthéré n’aurait aucun mal à être sélectionnée par l’Intendant du Gynécée Impérial.
    Au fil du temps, Tang, parce qu’il était réputé amateur de jolies femmes, en était devenu une sorte de pourvoyeur officieux. Lorsque l’une de ses proies lui en paraissait digne, après l’avoir essayée pour s’assurer que le jeu en valait la chandelle, il l’adressait au palais impérial à Gerbe Haute, le Mandchou à qui incombait la lourde tâche d’aiguiller les jolies filles vers ce lieu hermétiquement clos où l’empereur n’avait plus qu’à puiser. Alors, pour celles que Daoguang consentait à revoir parce qu’elles avaient réussi le premier test in vivo avec lui, commençait un long parcours du combattant fait d’intrigues et d’alliances tactiques, où tous les coups étaient permis. Les plus chanceuses et les plus rouées atteignaient le rang de concubine attitrée puis celui de favorite, à condition d’avoir été capables d’éliminer les rivales. La plus redoutable pouvait prétendre au titre de Première Concubine, une sorte d’épouse officielle bis du Fils du Ciel. Le rêve de toute Première Concubine était de devenir Impératrice, mais c’était encore une autre histoire car il fallait obligatoirement passer par les cases « meurtre   », « complot   », « alliance avec les eunuques   » et autres manigances de ce terrible jeu de l’oie où la règle du jeu, des plus simples, se résumait à la formule : gagner ou mourir.
    Comptant bien, comme d’habitude, essayer lui-même la belle et impudique contorsionniste, Tang commença à imaginer ce qu’il allait lui demander en termes de prestations amoureuses, car il ne doutait pas qu’elle fût capable d’adopter sans aucun problème particulier l’une des neuf méthodes - ou positions - stipulées dans le Traité de la Fille Sombre {8}   : par exemple, celle des « Singes combattants   », la femme allongée sur le lit hissant ses jambes autour du cou de l’homme; celle de l’« approche du Tigre   », la femme à genoux offrant sa croupe à son partenaire ; celle de la « Tortue escaladant la Montagne Sacrée   », qu’il était recommandé de pratiquer en retenant l’éjaculation car cela décuplait les forces au centuple… Le prince avait un faible pour la figure du « Lapin qui suce les poils   » où l’homme étendu sur le dos reçoit l’hommage de la femme assise sur lui à califourchon, fesses contre son visage…
    Il salivait déjà à l’idée des doux et ensorcelants remèdes qu’il comptait administrer à Jasmin Éthéré pour obtenir de sa part une contrepartie équivalente.
    Plus l’homme sait donner à la femme et mieux elle lui rend.
    Avec délectation, il s’imagina faisant les gestes préconisés par l’auteur - dont il ne doutait pas qu’il s’agissait de l’Empereur Jaune en personne   ! - du Livre du Vieil Homme au Bord de la Rivière {9} grâce auquel il avait appris à faire marcher la femme sur la Voie du Plaisir : d’abord, il faut penser à elle, à sa jouissance, au contentement auquel elle a droit; puis on doit passer la main sur ses adorables Sources d’Eau Claire et traverser sa fastueuse Grande Mer avant d’aborder son indicible Mont Éternel et de terminer avec le doigt dans sa sublime Porte Sombre tout en caressant avec l’autre main son subtil Carré des Nerfs. Alors, le ventre de la partenaire va se tendre comme un arc puis se relâcher brusquement, en même temps que de la Hampe de Jade de l’homme jaillira l’ineffable énergie vitale. La Racine du Ciel et de la Terre n’aura plus qu’à s’unir à la Porte Sombre, et - ô triomphe   ! - le Yin se confondra avec le Yang, l’espace d’un instant qui paraîtra une éternité…
    Il plaça sa main entre ses jambes pour ne pas trop montrer aux autres à quel point sa Tige de Jade cruellement en manque désirait