La guerre de l'opium
une réponse rapide mais en redoutable femme d’affaires ne souhaitait pas laisser transparaître une quelconque impatience.
— Il faut que je regarde les disponibilités en matière de fret. Lors de mon prochain passage à Canton, on en reparle ! lâcha Niggles, bien décidé à ne pas donner la moindre chance à Rosy Elliott de s’installer toute seule sur un créneau aussi prometteur.
*
* *
Dans le fauteuil où Laura l’avait installé, Joe venait de se réveiller. Il ne manifestait plus de signes d’angoisse ni de nervosité.
— Il est temps de rentrer ! Va chercher ton père ! dit Barbara, épuisée et tendue, à sa fille.
Laura rejoignit son père qui était en grande conversation avec le notaire du Lancashire sur la véranda.
— Maman veut rentrer.
Brandon soupira, haussa les sourcils, l’air de faire comprendre à son interlocuteur qu’il avait une femme capricieuse, et la rejoignit.
Joe prit la main de sa sœur. Dès qu’il aperçut, du haut du perron, la pelouse du parc, il s’élança, tirant comme un chien de traîneau Laura de toutes ses forces. Habituée à tenir son frère, elle dévala avec lui les marches de l’escalier. Et c’est là, au pied de celles-ci, qu’elle reçut un choc. Elle se retrouva nez à nez avec un jeune Chinois au visage avenant et au teint à peine cuivré. Leurs regards se croisèrent. Les yeux du garçon brillaient avec intensité.
Que faisait-il là ? Était-ce pour elle qu’il s’était posté à cet endroit ? Allait-il l’aborder ?
Il la regardait, concentré et attentif.
Troublée, elle baissa les yeux et vit, dans ses mains étalées, une fleur de lotus. Elle s’apprêtait à le contourner, tiraillée par Joe, lorsque d’un geste il déposa la fleur dans sa paume.
Elle ne put faire autrement que de lui tendre la main, à l’occidentale, pour lui dire bonjour et merci. Au contact de la peau du jeune homme, tiède, douce comme de la soie, Laura Clearstone fut troublée. Pour se donner une contenance, elle huma la fleur de lotus, ce qui les fit sourire l’un comme l’autre. La joie de ce jeune garçon était communicative. Pour la première fois depuis son arrivée à Canton, Laura eut le sentiment qu’elle avait établi un véritable échange avec un Chinois. Désireuse de le remercier autrement que par un simple geste, elle chercha des yeux Wang le Chanceux mais, avant qu’elle ait pu faire signe à ce dernier de venir lui prêter main-forte, le jardinier en chef se rua, bâton à la main, sur le garçon, l’obligeant à déguerpir. Si elle avait osé, elle aurait rabroué le rustre pour la brutalité dont il avait fait preuve à l’égard de cet inconnu qui ne faisait de mal à personne.
En attendant, le jeune homme avait disparu et il ne restait à Laura que la délicatesse extrême de ces pétales de fleur au creux de sa main.
— Laura, il ne faut pas engager la conversation avec un autochtone. Ce n’est pas à recommencer, tu sais ma chérie… Il faut toujours se méfier des gens qui vous abordent sans raison ! lui dit son père, alors qu’ils s’apprêtaient à remonter dans leurs chaises à porteurs.
Déçue par ces propos, elle prit la défense de l’inconnu aux yeux si ardents.
— Ce jeune Chinois ne faisait aucun mal ! Il a été chassé du consulat comme un chien.
— Il n’avait rien à y faire ! C’était peut-être un apprenti cambrioleur… ou un mendiant qui cherchait à t’extorquer un peu d’argent !
La violence du ton de Brandon amena Barbara à intervenir :
— Brandon, ton jugement est pour le moins déplacé ! Regarde un peu ce que ton soi-disant apprenti cambrioleur a offert à ta fille… Ici, les gens n’ont pas la même mentalité que chez nous… s’écria-t-elle en désignant la fleur.
— Comment peux-tu être aussi péremptoire ? Tu n’as même pas appris trois mots de chinois ! lâcha son époux, venimeux.
— Je te trouve tout d’un coup bien agressif…
— C’est un comble ! En matière d’agressivité, je n’ai pas de leçon à recevoir de ta part… D’ailleurs, pour tout te dire, tes propos de tout à l’heure, devant ce pasteur hargneux et excité, étaient singulièrement déplacés ! Quand tu joues à la suffragette, il n’y a que toi que ça amuse !
Le ton montait au sein du couple, sous l’œil désolé de leur fille.
La Chine, décidément, ne semblait pas réussir aux
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