La Guerre Des Amoureuses
du duc de Montpensier.
Le pont-levis était baissé et des arquebusiers
en morion en gardaient l’entrée. Plusieurs d’entre eux portaient la croix de
Lorraine sur leur manteau. Poulain montra donc à l’officier un laissez-passer
signé du duc de Guise que lui avait remis M. de Mayneville à Paris. Le
soldat les laissa entrer sans barguigner.
Ils comprirent immédiatement qu’il s’agissait
d’un village protestant, ou d’un village où protestants et catholiques vivaient
jusque-là ensemble, qui venait d’être pris par la compagnie d’arquebusiers. Bien
que l’attaque ait eu lieu au lever du jour, il y avait encore beaucoup de morts
étendus par les rues. Ils demandèrent où se trouvait le cabaret ou l’auberge. C’était
sur la place, devant l’église.
L’endroit était plein de monde comme vautours
à la curée. Un bûcher avait été préparé et une dizaine d’hommes garrottés
chantaient des psaumes devant une potence dressée. Des colliers d’oreilles
couvertes de sang séché étaient cloués sur la porte de l’église.
Poulain se renseigna auprès d’un laboureur au
visage tanné et buriné. Celui-ci lui expliqua que les protestants étaient de
plus en plus nombreux, et de plus en plus intolérants dans le village. Eux, les
catholiques, souffraient de leurs prêches qui auraient fini par les damner. Que
leur curé lui-même s’était converti, et que les vrais chrétiens comme lui en
avaient eu assez. Il y avait eu dispute. Le tisserand, chez qui se tenaient les
assemblées de prières, avait été tué par ses voisins qui lui avaient empli la
bouche avec les pages d’un Nouveau Testament trouvé chez lui. Craignant une
vengeance, les bons catholiques avaient appelé à leur aide une compagnie d’arquebusiers
du duc de Guise cantonnée à Poitiers.
Les quatre-vingts arquebusiers étaient entrés
dans le village le matin, les portes ayant été ouvertes par les catholiques. Ceux-ci
avaient aussitôt saisi les hérétiques. Les plus chanceux avaient été rapidement
tués et leur tête tranchée avait servi aux soldats pour jouer à la pelote. Les
femmes et les filles avaient été forcées. Les autres avaient été battus, torturés,
et maintenant ils étaient rassemblés là, sanguinolents, attendant d’être pendus,
pour la plupart sans leurs oreilles.
Poulain, Olivier et Lorenzino assistèrent au
supplice des protestants qui chantèrent des psaumes jusqu’à leur mort. Ensuite,
le curé fut brûlé vif sous les cris de joie des spectateurs.
Ils se retirèrent dans l’auberge, mangeant
dans la chambre, leurs armes près d’eux. Dans la nuit, ils entendirent un des
officiers de la compagnie d’arquebusiers proposer à ses compagnons une
fricassée d’oreilles.
Ils repartirent aux aurores. Sans échanger une
parole.
En quelques mois, la
situation militaire avait bien changé pour le roi de Navarre. Non que son armée
soit devenue plus forte, puisqu’il n’en avait plus, mais il avait su
adroitement utiliser les faiblesses et la discorde de ses adversaires. Pendant
que Mayenne était immobilisé en Gascogne par Turenne, par la peste et par le
manque de ravitaillement, il s’était solidement installé en Saintonge, terre
réformée, avec La Rochelle comme imprenable place forte. De là, avec des
compagnies franches de gentilshommes protestants, il conduisait une guerre de
coups de main, de prises de châteaux, d’abbayes et de petits bourgs.
La seule armée qui aurait pu contrarier ses
desseins était celle du maréchal de Biron, mais Henri de Bourbon était parvenu
à conclure avec lui une trêve à son avantage. Biron, comme Matignon, était
désormais légitimiste et savait qu’il n’avait aucun intérêt à affaiblir celui
qui deviendrait, sans doute, son roi.
À la fin de l’été, Henri de Navarre possédait
de nombreuses villes et châteaux dans un large demi-cercle autour de La
Rochelle, ce qui lui permettait de pousser des incursions plus lointaines en
Poitou, et même d’assurer le ravitaillement de Saint-Jean-d’Angély qui
appartenait au prince de Condé.
Son fidèle Ségur avait enfin obtenu une armée
de Suisses et de lansquenets. Il restait encore à les rassembler et surtout à
les faire entrer en France sans que le duc de Guise ne les arrête. Quelques
capitaines protestants voulaient qu’on les fît passer par la Lorraine afin qu’ils
écrasent les forces guisardes. Les autres, plus prudents, car ils ne
sous-estimaient ni la force ni
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