La Guerre Des Amoureuses
république
protestante. Dans ce dernier cas, le royaume reviendrait sans doute à Guise,
mais elle pourrait obtenir de lui qu’il patiente jusqu’à ce que son fils se
retire de lui-même du trône.
On le voit, comme son arrière-grand-père
Laurent le Magnifique, Catherine de Médicis possédait le goût de la combinazione. Seulement elle n’avait pas son talent. Pourtant, ayant
longuement tourné et retourné ce plan dans sa tête, elle ne lui avait trouvé
aucune faille.
Pour convaincre Navarre, une entrevue serait
nécessaire. Mais il se méfiait tellement d’elle qu’il refuserait même de
recevoir son messager. Il fallait donc qu’elle choisisse quelqu’un qu’il
écouterait.
Elle passa en revue tous les hommes talentueux
du royaume. Non seulement il n’y en avait guère, mais la plupart étaient
protestants. Quant aux rares catholiques qui auraient pu faire l’affaire, ils
étaient trop âgés pour aller jusqu’en Béarn. C’est alors qu’elle se souvint de
Michel de Montaigne. Elle avait rencontré l’ancien maire de Bordeaux et, comme
tous ceux qui l’approchaient, avait été séduite par le personnage. Montaigne
était catholique, mais tolérant. Il vivait en Gascogne et aimait voyager. Philosophe
aussi bien qu’homme d’action, il souhaitait la paix, il accepterait donc
certainement d’être son messager.
En supposant qu’une entrevue puisse avoir lieu
avec son gendre, il faudrait lui faire avaler un breuvage, peut-être deux, car
si le philtre d’amour n’était pas efficace (après tout Ruggieri n’était pas
infaillible), la seule issue serait le poison.
Ce serait difficile de le convaincre de boire
le contenu d’une coupe. Ce ne pourrait être que quelqu’un en qui il ait
confiance. Or, si Navarre était plus méfiant qu’un renard, il avait un faible
pour la gent féminine. Apparemment, Catherine avait tout ce qu’il fallait dans
son haras de putains, mais le Béarnais savait bien à quoi servaient ses filles
d’honneur. Il n’en accepterait aucune près de lui, que ce soit à table ou au
lit.
Sauf Mme de Sauves, peut-être. Elle
avait été sa maîtresse, même si elle partageait aujourd’hui la couche de Guise
et de son frère Mayenne. Navarre pourrait bien accepter de la revoir une nuit, ne
serait-ce que pour humilier le duc de Guise. Il y avait aussi une autre
possibilité, plus retorse : que la femme qui l’approche ne cherche pas à
devenir sa maîtresse… Que ce soit une amie, une alliée…
Songeant à celles qui pourraient jouer ce rôle,
Catherine de Médicis s’arrêta sur une des anciennes de son escadron volant. Celle
qui avait séduit le père de l’actuel prince de Condé. La douce Limeuil était
maintenant l’épouse de Scipion Sardini, le financier le plus proche de son fils,
or Catherine savait que Sardini correspondait avec Navarre ; ses espions
lui avaient même rapporté qu’il lui aurait remis une grosse somme d’argent.
Son gendre ferait sans doute confiance à
Limeuil, mais mieux valait trouver une troisième femme. Pourquoi pas une
personne que Navarre ne connaissait pas ? songea-t-elle finalement. Une
femme respectée, admirée, qu’il recevrait sans méfiance…
L’idée d’une comédienne s’imposa peu à peu à
son esprit. Il y aurait forcément une fête après l’entrevue avec son gendre. Pourquoi
ne pas demander à une troupe de théâtre de jouer une comédie, le soir ? Il
faudrait bien sûr que cette troupe soit exceptionnelle avec une comédienne
belle et talentueuse, capable de séduire le Béarnais. Vertueuse aussi, car
souvent chez les bateleurs les actrices n’étaient que des bougresses qui
servaient de femmes communes à toute la troupe. Navarre était plus exigeant.
Pour l’Italienne qu’était Catherine de Médicis,
ces comédiens ne pouvaient venir que de son pays, la patrie du théâtre. Or la
plus illustre compagnie italienne, les Gelosi, comptait une femme aussi célèbre
pour sa beauté que pour ses talents de poétesse. Elle se nommait Isabella Andreini.
Dix ans plus tôt, son
fils avait fait venir les Gelosi durant la réunion des états généraux à Blois. En
venant en France, ils avaient d’ailleurs été faits prisonniers par un parti de
protestants et elle avait dû payer une rançon pour leur libération. Dans la
grande salle des états du château, les comédiens avaient représenté plusieurs
pièces scabreuses de Machiavel, ainsi que des farces paillardes. C’était certes
peu
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