La Guerre Des Amoureuses
raffiné, mais leurs propos gaillards avaient provoqué de tels rires qu’ils
avaient desserré l’hostilité entre les partisans du roi et ceux du duc de Guise.
Pour les remercier, son fils avait permis aux
Gelosi d’ouvrir un théâtre à Paris dans la grande salle de l’hôtel de Bourbon. Malgré
le prix élevé – les comédiens prenaient quatre sols par spectateur au lieu de
deux habituellement – il y avait eu plus d’affluence que pour les prêches des
quatre principaux curés de Paris, comme l’avait rapporté Pierre de L’Estoile !
Il faut dire que les Gelosi avaient un moyen infaillible pour faire venir le
public : les comédiennes étaient réputées pour l’immodestie de leur jeu et
pour la somptuosité de leur toilette, mais aussi pour leur poitrine largement
découverte [32] .
Ces exhibitions impudiques avaient provoqué la
colère des parlementaires qui, sous peine de dix mille livres d’amende, avaient
interdit aux Gelosi de continuer leurs représentations. Le roi avait annulé cet
arrêt et le scandale n’avait pas cessé car il venait assister au spectacle
habillé en femme, sa gorge nue entourée d’un collier de perles. Devant l’hostilité
grandissante des religieux et des parlementaires qui s’insurgeaient devant de
telles débauches qu’on qualifiait de roi-femme, ou d’homme-reine [33] , les Gelosi étaient finalement retournés en
Italie.
C’est à leur retour que l’un des comédiens, Francesco
Andreini, avait épousé une jeune femme de seize ans, Isabella. Ce mariage avait
marqué le début d’une nouvelle époque pour les Gelosi.
Devenue première actrice de la troupe, Isabella
avait décidé d’en écrire les pièces. Elle avait abandonné les sujets orduriers
pour des farces et des pantomimes plus fines, et même quelquefois pour des
tragédies en vers. On avait même rapporté à Catherine de Médicis qu’Isabella
ressemblait à la grand-mère d’Henri de Navarre, Marguerite d’Angoulême, et qu’elle
en avait le talent !
Qui d’autre pourrait mieux capter la confiance
du Béarnais ? avait songé la reine mère. Jamais le roi de Navarre n’imaginerait
qu’une telle personne puisse être à sa solde !
Il faudrait bien sûr la convaincre de faire
avaler un philtre à Henri de Bourbon, mais Catherine ne s’inquiétait pas pour
cela. L’argent et les honneurs venaient à bout de tous les scrupules.
Restait encore à faire venir les Gelosi à
Paris.
Elle apprit qu’ils étaient en Espagne. Elle
les invita en envoyant un courrier, mais, à sa grande surprise, ils répondirent
qu’ils partaient pour Milan où ils avaient un engagement de plusieurs mois. Ils
ne pourraient venir en France avant un an. Ce refus inattendu était
inacceptable. Elle insista, envoya un second courrier, mais les comédiens
étaient déjà partis pour l’Italie. N’ayant aucun moyen de les contraindre, la
reine mère perdit courage et abandonna.
Paris frémissait
contre son fils. Il neigeait, la ville grelottait, la glace pendait aux
toitures et couvrait les pavés en ce premier jour de l’an 1586. Entourée de ses
demoiselles d’honneur qui jouaient à des jeux ou chantaient en s’accompagnant
de violes, Catherine, toute en noir, méditait sombrement devant la cheminée de
sa chambre d’apparat. Pour ceux qui l’observaient, elle paraissait statufiée. Son
visage blafard était complètement inexpressif et seule sa main droite qui
faisait rouler les énormes perles de son collier laissait paraître un signe de
vie.
La plus petite de ses naines – elle faisait à
peine seize pouces de haut –, la voyant si morose, s’approcha d’elle.
— Madame, savez-vous ce qu’on chante à
Paris sur Mme de Sauves ? demanda-t-elle d’une voix aigrelette.
— Ce ne doit pas être plaisant pour elle,
murmura Catherine, avec un sourire sans joie.
Justement, elle songeait à nouveau à elle pour
séduire Navarre.
Charlotte de Beaune, baronne de Sauves et
depuis peu marquise de Noirmoutier, était une ancienne dame d’atours de
Catherine. Elle avait été la maîtresse de Navarre à l’époque où, jeune homme, il
était prisonnier au Louvre. Plus tard, elle était passée dans les bras des duc
d’Épernon, de Mayenne, et finalement de Guise. Les méchantes langues disaient d’elle
qu’elle avait la cuisse longue et la fesse alerte, d’autres plus
méchants l’appelaient la putain des guisards. Henri III l’avait, un temps,
chassée de la Cour pour inconduite
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