La Guerre Des Amoureuses
répulsion.
Arrivée au niveau de la chaire, le père
Boucher, un de ses fervents admirateurs, la salua par ces mots :
— Voici notre Judith qui tuera Holopherne !
Elle sourit à peine, tandis que les acclamations
redoublaient.
Devant le chœur était dressée une estrade
tapissée sur laquelle se trouvaient une cathèdre et des prie-Dieu. Un majordome
attendait. Il fit monter celle qu’on nommait la gouvernante de la Ligue à Paris,
puis ses gentilshommes et ses dames d’atours.
Tout autour de l’estrade étaient suspendues
des enseignes en taffetas couleur or à bande de gueules chargée de trois
alérions d’argent : les armes des Guise.
La suite ducale installée, le silence revint
peu à peu, malgré l’immense foule serrée, debout au fond de l’église, et la
messe commença.
Au sermon, le père Boucher fut, comme d’habitude,
d’une violence inouïe envers le roi et Navarre, ce cyclope navarrais, de qui
la caverne est pavée de têtes d’hommes, qui ne se repaît que de chair humaine
et ne s’abreuve que de sang !
— Imaginez, poursuivit-il
en levant une main pour faire taire les brouhahas, les chiens en leurs curées
qui plongent le nez au sang des bêtes, qui déchirent leurs entrailles, qui
frétillent de la queue, qui s’égaient aux appétits d’un si furieux repas. Tels
verrez-vous les hérétiques revenant de la chasse des catholiques, à qui le sang
regorge par la bouche et par les oreilles. Après avoir abattu, éventré et
écorché ceux de la vraie religion, ils se fourrent en leur sang, s’y plongent
jusqu’aux oreilles, en font des soupes, se gorgent de leur chair. Vous les verrez se plaire à verser, à tirer le sang h umain, à s’y baigner, à s’y étuver [42] …
En l’écoutant, Olivier se reprochait d’être
resté si longtemps aveugle. Dans sa première lettre, Cassandre avait joint
quelques pages du livre de son père : De la vérité de la religion
chrétienne. M. de Mornay y expliquait la création du monde, le
rôle de la Providence, et surtout affirmait l’immortalité de l’âme. S’il s’en
prenait à des hommes, c’était aux adversaires du christianisme, aux athées et
aux païens, jamais aux catholiques. Après cette lecture, Olivier n’était plus
certain que la religion réformée soit hérétique, et quand bien même on le lui
prouverait, les appels à la tolérance et à la liberté des consciences de Michel
de Montaigne, pourtant sincère catholique, l’avaient convaincu du danger des
discours de la Ligue.
D’ailleurs, dans son appel à la ruine du roi
et de Navarre, le père Boucher voulait-il vraiment sauver les âmes de ses
paroissiens, ou installer le duc de Guise sur le trône des lys ?
La messe terminée, la duchesse et sa suite
sortirent en dernier afin d’être à nouveau ovationnées. À regret, Nicolas
Poulain demeura sur le parvis, car sa femme voulait admirer la robe de
Catherine de Lorraine et celles de ses dames de compagnie. Olivier et ses gens
restèrent avec eux puisqu’ils devaient rentrer ensemble. Perrine, la servante d’Olivier,
en profita pour contempler avec envie les parures des dames.
Pressé par la foule, et pour éviter que
Perrine ne soit écrasée, Olivier se trouva au premier rang quand la duchesse s’approcha.
Elle marchait lentement, ne cachant pas son plaisir de voir le peuple l’acclamer.
Un long moment, son regard radieux balaya la populace à ses pieds, puis elle
remarqua, avec un certain étonnement, un beau jeune homme qui, contrairement
aux autres, paraissait réserver son adulation.
Intriguée, elle posa son regard sur lui. Il
devait avoir une vingtaine d’années, c’était un bourgeois, d’après ses habits
et son absence de chapeau et d’épée. Leurs regards se croisèrent. Olivier fut d’abord
surpris de découvrir que la duchesse le dévisageait avant de ressentir un
inexplicable malaise. Pourquoi la sœur du duc de Guise s’intéressait-elle à lui ?
Catherine de Lorraine détacha son regard du
jeune homme quand M. de Puyferrat, son premier gentilhomme, lui dit
que sa litière était prête. Dans le coche, elle pensa à nouveau à lui. Pourquoi
était-il si réservé ? Pourquoi ne l’admirait-il pas ? Son désir d’en
savoir plus envahit son esprit à un point qui la troubla, mais en arrivant à l’hôtel
du Petit-Bourbon où elle habitait [43] , un autre sujet retint son attention. Un messager venait de porter un
courrier de son frère le duc de
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