La Guerre Des Amoureuses
s’alliait avec le roi, ou
s’il se convertissait, les Guise seraient facilement écartés. Il fallait donc
qu’il disparaisse rapidement. Mais comment ? Si Catherine de Lorraine
avait l’étoffe d’un capitaine, elle n’était pas Jeanne d’Arc. Elle n’avait pas
d’armée, pas de Dunois ou de Gilles de Rais sur qui se reposer. Faire
assassiner le Béarnais ? Elle y songeait souvent, mais comment ? Personne
ne savait où il se trouvait ! On le croyait à Nérac, il était dans le
Poitou. On assurait qu’il était en Saintonge, il conduisait un coup de main
dans le Périgord ! Il ne dormait jamais deux nuits au même endroit, toujours
à chevaucher avec sa troupe de fidèles. Au demeurant, il était d’une grande
méfiance et aucun inconnu, ou inconnue, ne pouvait l’approcher.
C’est dans cet état d’esprit qu’elle se rendit
l’après-midi au palais de la reine. Catherine de Médicis avait invité toute la
Cour à assister à un spectacle de farces et soties à l’occasion de la Pentecôte.
Au dîner qui suivit,
Catherine de Lorraine fut placée à côté de la reine mère. Le repas fut gai et
plaisant, plusieurs dames d’honneur chantèrent accompagnées de violes et de
luths. À la fin du dîner, Catherine de Médicis lui proposa de rester un moment
avec elle et de l’accompagner dans sa chambre d’apparat pour déguster des
confitures. Là, la reine abandonna ses dames de compagnie et fit passer la
duchesse dans le petit cabinet lambrissé qui jouxtait la pièce.
Connaissant parfaitement la rouerie de la
Médicis, Mme de Montpensier ne s’étonna pas. Quant à la reine mère, elle
n’ignorait rien des ambitions de la sœur de Guise et savait qu’elle accepterait
un entretien secret. Mais avant de parler politique, elles devaient jouer la
comédie de l’amitié. Sans même un sourire ambigu, la duchesse complimenta la
reine sur la douce politique que son fils conduisait pour le royaume, et l’arrière-petite-fille
de Laurent de Médicis la remercia pour les bontés que ses frères apportaient au
roi.
Après ces hypocrites douceurs, Catherine de
Médicis en vint au sujet qu’elle avait à cœur.
— Tout irait tellement mieux en France si
mon gendre n’était pas hérétique, soupira-t-elle, avec une infinie tristesse.
— C’est vrai, madame, mais avec son armée
mon frère parviendra bien à le convertir…
— Croyez-vous ? demanda la Médicis, dans
une feinte amabilité.
Elle ajouta sans laisser paraître la moindre
perversité :
— On m’a rapporté que M. de Mayenne
était très malade, avez-vous de ses nouvelles ?
— J’en ai eu ce matin, madame, mon frère
est solide comme un sanglier, il sera vite sur pied. La haine qu’il a envers
Navarre vaudra toutes les médecines !
— Je prie le Seigneur chaque jour pour
lui, jura la reine mère en joignant les mains, avant d’ajouter : Mais tout
serait tellement plus simple pour ce pauvre royaume si mon gendre reconnaissait
qu’il fait fausse route et qu’il suit une damnable hérésie.
— Hérésie que vous avez parfois tolérée, madame,
remarqua la duchesse d’une voix douce, mais où perçait le reproche.
— Je l’ai surtout combattue avec fermeté !
répliqua la reine sèchement. Mais pour l’heure, alors que je vais bientôt
rejoindre le Père éternel, je sens que je dois assurer une dernière mission.
— Laquelle, madame ?
— Convertir mon gendre pour qu’il
revienne dans la vraie foi. Je ne veux pas qu’il brûle dans les flammes de l’enfer.
La Montpensier tressaillit. Qu’avait la reine
en tête ? Croyait-elle que Navarre allait l’écouter ? Elle, l’instigatrice
de la Saint-Barthélemy ?
— Ce serait un miracle, madame, fit-elle,
en réprimant son ironie.
— Le Seigneur est avec moi, je le sais. Voyez-vous,
Catherine, j’ai écrit à mon gendre pour le supplier de m’écouter.
— Et que vous a-t-il répondu ?
— Qu’il acceptait de m’entendre.
— Viendra-t-il ici ?
— Non, je lui ai proposé une conférence à
Chenonceaux…
La duchesse dissimula sa surprise, et son
intérêt. Elle perçut immédiatement tous les avantages de cette entrevue. Navarre
était inaccessible dans son Béarn ou à La Rochelle. S’il venait à Chenonceaux, il
serait vulnérable.
— … Mais il n’acceptera pas de venir en
territoire hostile, poursuivit Catherine.
— C’est bien possible, en effet, approuva
prudemment la duchesse de
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