La Guerre Des Amoureuses
trésorier avant de revenir au-devant du convoi et de donner aux Suisses
l’ordre du départ.
Il s’écoulerait plus d’une heure avant que les
derniers véhicules ne s’ébranlent. Ayant confié le commandement du cortège à
son lieutenant, Nicolas Poulain repartit vers l’arrière, bien au-delà de la
suite royale. Il s’arrêta d’abord devant l’équipage des Gelosi avec lesquels il
échangea quelques mots courtois. Derrière eux se trouvait le chariot de ses
propres bagages conduit par un valet et Le Bègue. Un peu plus loin, Olivier, à
cheval, tenait compagnie à Mme Sardini, transportée dans une litière tirée
par des mulets. Les serviteurs d’Isabeau de Limeuil, dames d’atours, femmes de
chambre, valets, page et médecin, suivaient dans deux coches. Ses meubles et
bagages complétaient le convoi dans deux gros chariots escortés par trois
hommes d’armes et les deux Suisses Hans et Rudolf.
Bien au-delà commençait l’équipage de la
maison du duc de Montpensier avec une imposante troupe d’une centaine d’arquebusiers
en livrée. Le duc, François de Bourbon, avait quarante-cinq ans et, rappelons-le,
aucun lien de sang avec la sœur du duc de Guise qui avait épousé son père en
secondes noces. Si ce dernier, Louis de Bourbon, s’était distingué par sa
sauvagerie durant la Saint-Barthélemy, son fils François, même s’il était zélé
catholique, avait refusé de rejoindre la Sainte Ligue. Prince de sang, il était
un des derniers fidèles du roi, tout en se rapprochant de plus en plus de son
cousin Henri de Navarre.
Poulain se présenta, puis poursuivit son
chemin jusqu’à l’équipage du duc de Nevers qui se rassemblait le long de la
Seine, à bonne distance des gens de Montpensier.
Le duc de Montpensier et le duc de Nevers ne s’aimaient
pas. Ils avaient d’ailleurs failli se battre en duel et il avait fallu toute la
diplomatie d’Henri III pour éviter qu’ils ne s’entretuent.
Malgré son nom français, Louis de Nevers était
italien et à ce titre fort aimé de Catherine de Médicis. Frère cadet de
Guillaume de Gonzague, duc de Montferrat et marquis de Mantoue, qui, on s’en
souvient, avait emprisonné les Gelosi au début de ce récit, il était arrivé en
France à dix ans comme otage de Mantoue, alors que Henri II guerroyait en
Italie. Le roi l’avait traité comme un prince et par son mariage avec Henriette
de Clèves, duchesse de Nevers, Louis de Gonzague était devenu à la fois duc de
Nevers et l’une des premières fortunes de France.
C’était un homme de haute taille, courageux
mais violent, ressemblant curieusement à un lion avec une épaisse crinière
blonde, un large nez, un front découvert et plissé, et une bouche aux lèvres
rouges et charnues. Il avait fait partie de la suite du roi quand celui-ci
était parti en Pologne mais il s’était depuis éloigné d’Henri III, car sa femme
Henriette, dont la sœur avait épousé le Balafré, l’avait incité à rejoindre la
Ligue. Henriette était une femme autoritaire qui dominait son mari. Les
mauvaises langues rapportaient que c’était elle la maîtresse de Coconnat qui
avait gardé la tête de son amant, comme l’aurait fait la reine Margot avec
celle de La Mole.
Catholique d’une grande piété et au caractère
intransigeant, Nevers s’interrogeait maintenant sur la Ligue et sur ses
desseins. Avait-on le droit de déposer le roi ? Guise voulait-il vraiment
usurper le trône ? Ses amis le sentaient hésitant, prêt à se rapprocher à
nouveau d’Henri III. On se moquait ainsi de lui dans une chansonnette où
on comparait les ducs guisards à des vins :
M. de Nevers
est troublé,
M. de Guise est frelaté,
M. de Mayenne est passé !
Poulain échangea
quelques mots avec le duc puis se rendit jusqu’à l’arrière-garde composée d’une
demi-compagnie d’arquebusiers. Quand il fut arrivé au bout du cortège et qu’il
eut constaté le bon ordre du convoi, il revint au trot jusqu’à la voiture de la
reine mère pour se mettre à ses ordres. Elle avait déjà passé la Porte Neuve.
La Cour mit quatre jours pour gagner Étampes, et
huit de plus pour atteindre Orléans. C’est entre Étampes et Orléans qu’Olivier
prit conscience de la grande misère du pays. En ce mois d’août, les pauvres
gens mourant de faim allaient par groupes sur les chemins. Il les vit plusieurs
fois couper les épis à demi mûrs qu’ils mangeaient sur place, menaçant les
laboureurs
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