La Guerre Des Amoureuses
bien visible au-dessous du sein gauche. Il n’y avait plus beaucoup
de sang. Mme Sardini respirait toujours aussi lentement, elle était sans
conscience.
— Monsieur Poulain, puisque vous savez d’où
le coup est parti, pouvez-vous me montrer à peu près la trajectoire. Je pense
comme M. Paré qu’il faut tout d’abord savoir où est exactement la balle.
Poulain leva le bras gauche vers le plafond.
— On a tiré d’un escalier dans la rue, au
deuxième étage, vers la gauche. La balle est arrivée d’en haut, mais tout
dépend de la position qu’avait Mme Sardini.
— Je vais supposer qu’elle était debout, face
à la rue.
Le médecin entra à cet instant avec un jeune
homme porteur d’une trousse de cuir.
— Vous êtes chirurgien en robe longue ?
— Non, monsieur.
— Ce sont vos instruments ?
— Oui.
— Donnez-les-moi.
— Vous… Vous voulez extraire la balle ?
s’offusqua le médecin.
— Oui.
— Vous allez la tuer ! protesta-t-il
à nouveau.
— Je vous l’ai dit, si je ne fais rien, elle
est morte, et je crois avoir plus d’expérience que vous. Mon oncle m’a appris.
— Qui était votre oncle ?
— Michel de Nostre-Dame.
— Nostradamus ?
— On le nomme ainsi [57] .
D’autorité, il avait pris la sacoche des mains
du chirurgien et l’avait ouverte pour en étaler le contenu sur le lit. Olivier
et Nicolas restèrent près de Mme Sardini, fascinés et épouvantés par l’opération
que voulait tenter le nain.
Trois valets entrèrent, porteurs de bassines d’eau
bouillante qu’ils déposèrent sur une table. La servante arriva ensuite avec
deux flacons de vin et une jarre de vinaigre.
Le nain demanda qu’on trempe tous les objets
du chirurgien dans l’eau bouillante, puis il descendit du tabouret et ordonna à
un valet de le porter devant la table. L’ayant suivi, il remonta sur l’escabelle.
— Vous ! ordonna-t-il au chirurgien.
Allez vous laver les mains au vinaigre ! Comme moi.
La servante plaça une bassine vide devant eux
et vida le vinaigre sur leurs mains qu’ils frottèrent l’une contre l’autre
avant de les essuyer à un linge propre. Ensuite, Bezon fit ramener le tabouret
devant le lit et grimpa dessus.
— Vous écarterez la plaie, expliqua-t-il
au chirurgien. Il faudrait que j’incise, mais elle saignerait trop. Messieurs
Poulain et Hauteville, vous tiendrez Mme de Limeuil. Elle va avoir
mal, très mal, et elle se débattra. Mais il ne faut surtout pas qu’elle bouge.
Il ajouta à l’attention de la servante :
— Trempez du linge dans un récipient d’eau
bouillante et portez-le-moi quand je le demanderai. Amenez maintenant la
bassine qui contient les instruments.
Quand tout le monde fut en place, Olivier et
Nicolas maintinrent solidement la pauvre femme évanouie. Bezon saisit une tige de
fer dans la bassine posée sur le lit, à côté de lui, il secoua un instant sa
main, à cause de la chaleur, puis introduisit lentement la tige dans la plaie.
Isabeau de Limeuil se raidit et poussa un cri.
— La balle est là, comme je le pensais !
fit le nain dans un sourire satisfait. Heureusement que vous avez trouvé d’où
on a tiré, monsieur Poulain. Par chance, en brisant la côte, le plomb ne s’est
pas enfoncé profondément, il n’a pas dû toucher les entrailles.
Il saisit une longue pince et demanda au chirurgien :
— Écartez les bords de la blessure, et
vous deux, tenez-la de toutes vos forces.
Quand Bezon introduisit la pince dans la plaie,
Isabeau se cambra encore plus en lâchant un long hurlement épouvantable. Olivier
et Poulain la maintenaient. Bezon, imperturbable, fouilla la blessure jusqu’à
sentir la balle. Limeuil hurlait maintenant sans interruption. Brusquement, elle
s’affaissa.
Bezon montra la pince à l’assistance : la
balle était serrée entre les mâchoires.
Il prit un des linges qui trempait dans l’eau
et, doucement, entreprit de nettoyer la plaie qui saignait à nouveau.
— Le sang fera peut-être sortir les brins
de tissus qui se trouvent encore au fond, fit-il en grimaçant.
Il demanda à la servante :
— A-t-on les herbes ?
— L’herboriste vient de les apporter, monsieur.
— Donnez-moi du vinaigre, et dites-lui qu’il
fasse cuire du mille-feuille dans de l’eau en y ajoutant des feuilles de
belladone. Qu’il m’écrase aussi quatre grains de belladone.
Il lava longuement la blessure au vinaigre, provoquant
un nouveau hurlement
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