La guerre des rats(1999)
blancs de la couronne rase du politicien.
— La presse du monde entier parle de la « Forteresse
Stalingrad ». Et c’est bien ce qu’est cette ville. C’est ce que nous en avons fait. Laisse-moi te dire que le camarade Staline connaît ton nom. Grâce à des hommes de ta trempe, il peut éviter d’envoyer des troupes au sud. Il n’est pas obligé d’affaiblir les défenses de Leningrad et de Moscou pour renforcer Stalingrad…
Tchouikov, demeuré immobile pendant que Khrouchtchev parlait, sentit que son tour était venu dans le déroulement de la cérémonie. Il prit sur le bureau un petite médaille en bronze accrochée à un ruban rouge. Sur l’avers était gravé le visage barbichu familier de V. I. Lénine, de profil, levant légèrement les yeux sur fond d’étoile à cinq branches.
— Camarade Zaïtsev, les terres qui s’étendent au-delà de la Volga sont très vastes. Comment pourrons-nous regarder les nôtres dans les yeux si nous n’arrêtons pas l’ennemi ici ? Tu connais la devise de la Soixante-deuxième Armée ?
— Oui, mon général. Pas un seul pas en arrière.
— Tu y crois ?
Désarçonné par la question, Zaïtsev regarda son commandant en chef. Putains de communistes, toujours en train de vous demander si vous êtes courageux, si vous tenez le coup, si vous êtes prêt à mourir pour le Parti défendant la rodina.
Pourquoi ils me demandent ça ? Pour éprouver ma détermination ? Ils trouvent que les Boches ne l’éprouvent pas assez chaque jour ? Il faut que je vienne ici, dans la sécurité de ce bunker creusé dans une falaise, et protégé par un bouclier de soldats russes, pour passer un examen ? Merde. Je suis un combattant. Je chasse pour l’Armée rouge, pour leur saloperie de Parti. J’ai fait mes preuves. Et eux ? Donne-leur ce qu’ils veulent et tire-toi d’ici.
Il se tourna vers Khrouchtchev et proclama :
— Pour nous, il n’y a pas de terres au-delà de la Volga.
L’homme politique hocha la tête et répéta à voix basse comme pour lui-même :
— Il n’y a pas de terres au-delà de la Volga. Oui, oui… (Il se tourna vers Tchouikov.) Remettez-lui la médaille, général. La Soixante-deuxième Armée a une nouvelle devise. Vidikov, faites-la imprimer et dites aux hommes que c’est ce héros de Zaïtsev qui l’a trouvée. Elle nous engage tous. Pour nous, il n’y a pas de terres au-delà de la Volga.
Khrouchtchev se dirigea vers la porte, assena une tape dans le dos de Zaïtsev.
— C’est comme ça qu’il faut faire, jeune membre du Komsomol, dit-il en riant. C’était très bien.
Il adressa un signe de tête à Tchouikov puis sortit, Vidikov sur ses talons.
Le général remit la médaille au Lièvre en récitant :
— Vassili Grigorievitch Zaïtsev, je te décerne l’ordre de Lénine pour ta contribution à la création d’une unité de tireurs d’élite dans la Soixante-deuxième Armée, et pour ton courage au combat.
Il lui tapota le bras, sourit, regarda autour de lui.
— On dirait qu’il ne reste plus que nous deux pour la cérémonie. Bah, nous nous offrirons un défilé à Moscou un de ces jours, hein ?
Zaïtsev examina la médaille. Le bronze était épais, il avait un certain poids. Cela me fait drôle de la tenir, pensa-t-il. J’ai dans la main une des plus hautes distinctions de mon pays, mais j’aurais préféré recevoir des munitions pour mes lièvres. Avec le cuivre de cette médaille, on aurait pu fabriquer les chemises de trois balles.
Tchouikov fit un pas en arrière.
— Ne l’épingle pas pour le moment, Vasha. Garde-la dans ton sac. Comme ça, elle restera propre et brillante.
Zaïtsev glissa la médaille dans la poche de sa vareuse en souriant à l’officier. Au moins, lui, il vit de ce côté-ci de la Volga, en soldat. Pas comme ce gros rat blanc de Khrouchtchev. Je l’ai jamais vu dans le coin, celui-là, j’ai même jamais entendu parler de lui. Il s’est sûrement retrouvé pris au piège avec nous par le fleuve en train de geler, et il distribue des médailles pour passer le temps.
— Je peux disposer, mon général ?
Zaïtsev tâta la médaille dans sa poche en se disant qu’il la montrerait ce soir à Viktor, peut-être aussi à Tania. Mais à personne d’autre. Bien sûr, Danilov insisterait pour la voir et faire un article dessus. Bon Dieu, je suis un héros. Un héros. Pourquoi le mot lui avait-il paru aussi répugnant dans la bouche de Khrouchtchev ? Il avait fait de lui un cheval de
Weitere Kostenlose Bücher