La guerre des rats(1999)
entendu quelque chose. Quoi ? Un commando russe rampant dans les gravats pour une attaque surprise ? Un courrier se glissant entre les ruines ? On aurait dit une boîte de conserve roulant dans les décombres sous le pied d’un Ruskoff maladroit. Il valait mieux jeter un coup d’œil. « Tenez-vous prêts, les gars, murmure le soldat à ses camarades, il se passe quelque chose. » Il lève la tête, ne sent pas la croix du réticule partager son front, ne voit pas la boîte de conserve cascader dans les débris au bout de la ficelle que tire Zviad Baugderis.
C’était un stratagème ingénieux de Koulikov. Cela constituait aussi un exploit impressionnant digne d’être mentionné par Danilov dans Pour la défense de notre pays comme une tactique nouvelle. Zaïtsev songea à la façon dont il le présenterait au commissaire : comme une recette. Plusieurs heures avant l’aube, rampez sous le nez de l’ennemi ; déposez cinq boîtes de conserve à cinquante mètres d’intervalle, reliez-les par des ficelles à des trous de tireur préparés la veille ; au lever du jour, tirez sur une ficelle, tuez votre Allemand puis installez-vous cent mètres plus loin, et tirez sur une autre ficelle. Soyez patient. Bougez après chaque coup pour que les Allemands ne puissent déterminer votre position et la pilonner au mortier. Servez-vous des boîtes de conserve comme de cannes à pêche, attendez que les eaux redeviennent calmes et que l’appât attire à nouveau le poisson.
Koulikov claqua de la langue.
— Je l’ai…
— Descends-le, dit Zaïtsev entre ses dents serrées.
Dans son périscope, il vit la tête de l’Allemand partir en arrière, ses bras battre l’air. Après un sursaut, le corps s’effondra. Deux points noirs apparurent au-dessus de lui : le haut d’autres casques allemands. Puis les camarades du mort disparurent sous le talus de voie ferrée comme des tortues effrayées plongeant sous la surface d’un lac.
Zaïtsev abaissa son périscope pour regarder Baugderis. Le paysan de Tbilissi à la peau sombre lâcha sa ficelle et haussa les épaules. Koulikov eut un petit rire.
— J’arrive pas à croire qu’ils peuvent être aussi bêtes, dit-il quand le Géorgien l’eut rejoint en rampant. C’est le combien, Zviad ? Le septième ?
Baugderis haussa de nouveau les épaules.
— Septième. Huitième.
— On retourne au 5, proposa Koulikov, tout excité. On leur a pas fait le coup depuis des heures, ils doivent nous avoir oubliés. (Il se tourna vers son chef.) T’en veux un autre, Vasha ?
Zaïtsev fit non de la tête. Il était arrivé quand le soleil était haut et que les ombres ne cachaient rien. La chasse avait été bonne. Il avait liquidé deux Boches en vitesse avant de faire le guetteur pour Koulikov et Baugderis.
— Non, Nikolaï Petrovitch. Je passe voir Shaïkine.
Il se tournait déjà, mais Koulikov le retint par la manche.
— Vasha, pourquoi tu fais le tour des secteurs ? Le 6 ce matin, le nôtre maintenant, et ensuite celui de Shaïkine ? C’est pas comme ça que tu chasses, d’habitude. Je t’ai vu rester trois jours au même endroit avec la même balle dans la chambre.
Zaïtsev passa son fusil à l’épaule.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? insista Koulikov.
— Rien. Fais ton boulot et je ferai le mien.
La voix de Koulikov le rattrapa alors qu’il filait derrière la poutrelle :
— Retourne à ton abri, Vasha. Repose-toi. Les Allemands bougeront pas sans toi, je te le promets.
Zaïtsev écarta la couverture de l’entrée. À l’intérieur de la casemate, l’air confiné empestait la fumée de lanterne. Il défit la couverture de ses clous pour laisser de l’air frais entrer. Les dernières lueurs du crépuscule s’insinuèrent dans l’abri. Il posa sac et fusil dans son coin, s’assit juste à l’entrée — là où l’air était le plus frais, la lumière la plus forte — pour feuilleter son carnet de tireur d’élite.
Sept Allemands aujourd’hui. Un mitrailleur ce matin dans le secteur 6 avec Tania, deux autres dans le secteur 2 avec Koulikov et Baugderis, quatre avec Shaïkine et Morozov au cours d’un accrochage non prévu dans le secteur 5, sur la pente du Mamayev Kourgan. Morozov avait soudain levé la tête de son périscope. « Regardez ! Tout un peloton ! Ils courent, là-bas. Qu’est-ce qu’on fait ? »
Deux Allemands étaient tombés avant que Morozov ait eu le temps de saisir son fusil pour se mettre de la partie.
Cela faisait
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