La guerre des rats(1999)
s’ouvrent et accommodent. Il prit sa gourde dans son sac, ouvrit la bouche de Koulikov et y versa de l’eau. Une grande partie coula le long du cou avant que le blessé commence à avaler.
— Doucement. Doucement, Nikolaï. Là.
Koulikov repoussa la gourde et toussa, plissa les yeux, grogna. Il porta une main à sa tête mais ne put se résoudre à toucher sa blessure.
— Qu’est… qu’est-ce… ? (Il se tourna vers Baugderis, découvrit la masse sanguinolente du visage de son ami.) Oh. Oh merde, marmonna-t-il, de la peur dans les yeux.
— T’as rien, Nikolaï, le rassura Zaïtsev. Juste la chair entaillée sur le côté de la tête. Tu risques pas de mourir. Je vais te ramener.
Koulikov ferma les paupières, respira profondément.
— L’attaque. Où est-ce que… commença-t-il, d’une voix cherchant sa force.
— T’en fais pas, le coupa Zaïtsev. Elle est derrière nous, maintenant. Elle t’est passée dessus.
Le soldat renversa la tête en arrière pour regarder le ciel matinal. Une grimace tordit ses lèvres.
— Je me rappelle pas. De l’eau.
Zaïtsev lui tendit la gourde en pensant : Comment ça, il se rappelle pas l’attaque ? Il est resté inconscient pendant plus de deux heures, mais c’est quand même bien pendant l’attaque que Baugderis s’est fait tuer et lui blesser, non ? Les Allemands ont déferlé sur eux, mes lièvres ne pouvaient pas s’enfuir, ils ont ouvert le feu.
— Nikolaï, comment t’as morflé cette balle ?
Koulikov jeta un nouveau coup d’œil à son camarade mort avant de répondre :
— Un tireur embusqué.
Les mâchoires de Zaïtsev se crispèrent. Koulikov fit un effort pour se redresser et poursuivit :
— L’attaque a commencé juste après l’aube. Il était pas question qu’on reste ici, mais… (Il eut un reniflement, presque un rire sombre.) C’est ce qu’on a fait.
Zaïtsev attendit que son ami reprenne ses esprits.
— On s’était dit qu’on sortirait par ce bout de la tranchée, continua Koulikov. On pensait qu’on arriverait peut-être aux entrepôts en courant. Alors, on est remontés en tirant sur les ficelles une dernière fois. On a pas attendu beaucoup, juste le temps de voir si un Boche montrait sa tronche. On en a eu un de plus.
Il se toucha la joue. Ses doigts tremblaient sur les bosses de sang accumulé comme la cire d’une bougie. Il voulut passer une main dans ses cheveux, à la tempe, découvrit qu’ils étaient collés en une mèche dure. Il grogna quand ses doigts frôlèrent la plaie.
— Laisse, lui conseilla Zaïtsev. On va s’en occuper.
Koulikov baissa le bras, rit nerveusement de sa chance et reprit :
— Quand on est arrivés ici, j’ai tiré sur la ficelle, j’ai guetté. À ce moment-là, on était pressés. Il s’est rien passé. On allait partir pour la dernière position, mais tout d’un coup, je peux pas dire pourquoi, un Allemand a levé la tête. J’ai prévenu Zviad. Il a tiré et c’est comme ça qu’il s’est fait tuer.
Le Moisin-Nagant de Baugderis était resté au bord de la tranchée, là où il était quand la balle avait frappé le Géorgien. Zaïtsev prit l’arme, eut un hoquet.
La lunette était fracassée. Une balle avait pénétré dans le tube pour s’enfoncer dans l’œil droit de Baugderis. Il n’avait même pas eu le temps d’écarter son visage de l’oculaire. Il avait tiré, il avait vu sa balle faire mouche, et il était mort, debout.
— J’ai pas vu d’où ça venait, dit Koulikov, secouant la tête. Je… j’étais tellement… La balle venait de nulle part. Ça m’a foutu une telle trouille que… que j’ai dû me redresser…
Zaïtsev hocha la tête.
— Rien qu’une seconde, murmura-t-il plus pour lui-même que pour Koulikov.
Thorvald. Il était ici. Et ce salaud veut que je le sache.
— Rien qu’une seconde, fit Koulikov en écho. Ils étaient sûrement deux ou trois. On… on est restés trop longtemps.
Les yeux du blessé se mirent à briller. Il regarda de nouveau Baugderis et une larme laissa une trace luisante sur sa joue ensanglantée.
— On en avait fait un jeu, Vasha. On aurait dû partir hier soir mais on est restés. Merde ! Tout ça pour quelques morts de plus dans notre carnet…
Zaïtsev hocha à nouveau la tête. Il comprenait. Nikolaï Koulikov, un de ses meilleurs lièvres, un des plus intelligents, pleurait. Un tireur d’élite, un homme formé à tuer, se lamentait, en larmes, sur ce qu’il avait fait. Zaïtsev
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