La guerre des rats(1999)
Six, sept divisions !
— Merde, ça y est.
La dernière tentative des Allemands pour prendre la ville. On savait tous qu’ils la lanceraient avant que la Volga gèle. La voilà. Le 11 novembre, à l’aube. Et je me suis pas réveillé. Merde.
Zaïtsev glissa le quignon de pain dans sa poche, saisit son fusil. Viktor prit le sac de son ami et des munitions en ajoutant :
— Ils sont déployés sur un front de cinq kilomètres. De la ravine Banni à la rue Vokhostroïevskaïa.
— Qui défend ?
— Le 95 e de Gorichni dans l’usine et le couloir. Lioudnikov et le 138 e dans les magasins.
— Ils tiendront. Où…
— Je suis déjà passé à la Lazur, j’ai envoyé tous les ours et tous les lièvres que j’ai trouvés. Faut se grouiller, les Allemands se rapprochent.
Zaïtsev se précipita hors de la casemate derrière Viktor, le fusil au poing. De sa main libre, il passa à son épaule la bandoulière de sa mitraillette. La lourde PPS. au magasin rond et trapu rebondissait sur son dos à chaque foulée. Devant lui, Viktor tintait sous un assortiment de grenades, de cartouches, de couteaux, de jumelles et de fusils.
Les secteurs 2 et 3, pensa le Lièvre. C’est là qu’ils attaquent. Koulikov est au 2, Morozov au 3.
Nikolaï Koulikov. Il n’était pas à la petite fête, hier soir. Lui et Baugderis sont probablement restés toute la nuit dans leur tranchée pour essayer encore une fois le coup de la boîte de conserve à l’aube. Ils sont déjà dans la mêlée. Il faut que je parvienne jusqu’à eux.
Tchouikov m’a libéré de toute autre obligation pour traquer l’homme de Berlin, mais, pour le moment, je peux pas. Je m’occuperai de Thorvald plus tard. Il attendra.
Le Lièvre et l’Ours parcoururent des tranchées et des ruelles désertes pour parvenir à la Volga. Là, à l’abri des falaises, le long de la rive jonchée de débris, s’étirait la voie d’accès principale de la Lazur pour les troupes défendant le secteur des usines.
Le général allemand von Paulus avait fait du fleuve son objectif prioritaire afin d’isoler les positions russes et de les réduire à de petites poches. Mais, tout en courant, Zaïtsev sentait dans ses os que ce dernier spasme offensif des Boches était voué à l’échec. Il savait que la Soixante-deuxième Armée de Tchouikov était solidement retranchée. Les Russes étaient chauffés à la vodka, attisés par le soufflet des discours incessants des commissaires politiques.
En approchant d’Octobre-Rouge, Zaïtsev entendit le tonnerre de l’artillerie et des chars. Viktor ralentit. De grands panaches blancs sortaient de sa bouche ; ses larges épaules ployaient sous le poids de l’arsenal qui y était accroché.
Zaïtsev lui tapota le dos.
— Faut faire vite, Ours.
— On se repose un peu, haleta Medvedev. Pas la peine d’arriver trop crevés pour tuer un Allemand.
Il finit par s’arrêter sur le sable et, penché en avant, les mains sur les genoux, souffla comme un cheval de trait qu’on vient de dételer de la charrue.
Zaïtsev sentit des gouttes de sueur perler à son front sous sa chapka. Par-delà l’eau verte du fleuve, il contempla les îles boisées, à deux kilomètres de la berge. Derrière, il y a des vivres, des munitions, de la vodka, des médicaments, des bottes chaudes, pensa-t-il.
Les gros blocs de glace charriés par les eaux se heurtaient sous la surface. Par endroits, le long de la rive, il s’était formé une couche de glace, encore trop mince pour qu’on puisse marcher dessus. Dans combien de temps sera-t-elle assez épaisse pour permettre le passage d’un camion ? Un mois, peut-être ? Serons-nous encore là ?
— Je pars en avant, Viktor ! dit Zaïtsev, se remettant à courir. Bonne chasse !
Le sable crissait sous ses bottes. Vasha, murmurait-il, n’oublie pas le maître tireur.
Les glaces géantes de la Volga glissaient l’une contre l’autre en gémissant « Vasha, il te cherche ».
Au bout de la plage, il s’engagea dans une rue où les bâtiments vides se penchèrent pour marmonner à son oreille.
Vasha, sois prudent, disait la ville.
Il fit halte, regarda autour de lui. Une centaine de soldats russes déboulèrent vers lui et il fut enveloppé par les cris, les détonations.
Thorvald, Vasha. Thorvald.
Les combats se trouvaient maintenant derrière lui. Il courait tête baissée dans les tranchées, passait par les fenêtres des bâtiments se trouvant sur son chemin. Ses oreilles
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