La guerre des rats(1999)
les fusils allemand et russe que Nikki avait posés par terre.) Comment ? Comment trouver un seul homme silencieux dans tout ce vacarme ? Ce problème me déroute et, soyons franc, m’inquiète un peu.
Thorvald promena les yeux sur les ruines qui l’entouraient. Des fantômes de béton, des carcasses partout où je regarde, se dit-il. Zaïtsev peut être en ce moment n’importe où : derrière l’une de ces fenêtres, dans n’importe quelle cave, tranchée, ravine, gorge, galerie. Demain, ou dans une heure, il sera caché ailleurs. Ou même mort, tué par la balle d’un autre soldat, ou par un éclat d’obus. Et je serai enchaîné ici, cherchant un mort ou, au mieux, une cible mouvante qui ne sait même pas que je la cherche.
Qu’est-ce que je suis en train de faire ? Je ne peux pas continuer à suivre ce garçon dans Stalingrad en tirant sur tout ce qu’il me montre. Je ne peux passer toutes mes heures de veille à affronter les tireurs d’élite russes dans chaque quartier de cette ville infernale, envoyant Mond deux ou trois fois par jour vérifier si j’ai réussi à trouer la peau de ce salaud de Zaïtsev. Non, c’est un plan absurde et fatal. Je suis là avec un foutu jeunot à essayer de trouver la tête d’épingle qu’est cet homme dans une meule de foin infinie. Et Mond voudrait que je me confronte à tous les tireurs russes que nous pourrons trouver, comme la vedette d’une attraction foraine, rien que pour attirer l’attention de Zaïtsev. À ce train, je recevrai probablement une balle avant d’en loger une dans le Lièvre.
— Nikki, dit-il enfin, soudain ravi de prendre une décision, nous n’avons pas le temps de défiler dans tout Stalingrad en cherchant Zaïtsev. Nous devons changer de plan, même si nous ne l’avons qu’à peine entamé. Je n’ai pas été envoyé ici pour nettoyer la ville de ses tireurs embusqués. Un seul homme : c’est celui-là que nous devons éliminer pour gagner notre billet de retour à tous les deux.
La tête basse, le caporal jouait avec une poignée de gravier.
— Trouvons un meilleur moyen de faire savoir à Zaïtsev que je suis ici. Il ne le supportera pas. Lui, la légende, le héros, il foncera droit sur nous comme un taureau furieux. Qu’en pensez-vous ?
Nikki referma le poing sur une pierre, fixa le sol.
— Qu’en pensez-vous ? répéta Thorvald.
— C’est déjà fait, dit le caporal en relevant la tête.
Thorvald éclata de rire. Qu’est-ce qu’il raconte, ce garçon ? Zaïtsev ne peut savoir que je le cherche. Il est excellent chasseur, cela ne fait pas de lui un extralucide.
Le colonel jeta un caillou pardessus son épaule droite, geste porte-chance appris près des étangs de son enfance. Leurs eaux miroitaient dans les vertes propriétés de sa famille, très loin.
— Quoi ? À cause de cette balle dans la lunette ? Il faudrait que je répète le coup une dizaine de fois pour attirer l’attention de Zaïtsev. Il croira sûrement au hasard.
— Je ne parle pas de ça, mon colonel. Zaïtsev sait que vous êtes ici. Il le sait depuis deux jours.
Thorvald se redressa, joignit l’extrémité des mains. Baissant de nouveau la tête, Nikki avoua au sol :
— C’est moi qui le leur ai dit.
Le Berlinois battit des paupières.
— Vous… vous avez quoi ? A qui ?
— Aux Russes.
Tous les sens de Thorvald sonnèrent l’alarme. Ce garçon a révélé ma présence à Zaïtsev ? Comment a-t-il fait pour lui parler ? Qui est ce caporal ? Un agent russe ? Un traître, un espion ? Les pensées du colonel galopaient, soudain débridées par l’aveu de Mond. Pourquoi me raconte-t-il ça ? Il regarda les fusils, tous deux chargés, posés aux pieds du caporal. C’étaient les seules armes à portée de main, excepté le poignard pendant à la hanche de Mond.
— Ils m’ont fait prisonnier, continua Nikki. La nuit de votre arrivée. Les Russes se sont infiltrés derrière nos lignes, ils me sont tombés dessus alors que je réparais un câble téléphonique. Ils allaient me tuer. J’ai été obligé de leur dire quelque chose pour qu’ils ne me tranchent pas la gorge… (Il se leva, un fusil dans chaque main.) Alors, je leur ai parlé de vous, mon colonel. Je pensais que c’était sans importance. Je leur ai dit que vous étiez venu ici pour liquider Zaïtsev. Ça leur a plu. Un duel entre leur maître tireur et le nôtre. Ils m’ont laissé vivre pour que je vous prévienne. Mais je ne l’ai pas fait.
Thorvald
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