La guerre des rats(1999)
enroulé comme du lierre autour de son arme. Il avait demandé à Tania de le réveiller au bout d’un quart d’heure, mais elle l’avait laissé dormir une heure. Toute la journée depuis l’aube, elle, Zaïtsev, Shaïkine et Tchekov avaient rampé et grimpé, cherchant la trace de Thorvald. Une grande partie de la nuit, Zaïtsev et Medvedev avaient étudié des cartes et des rapports pour élaborer une tactique.
Pendant les trois jours écoulés depuis que Zaïtsev, Danilov et elle avaient rencontré Thorvald par hasard à cet endroit même, sur les pentes du Mamayev Kourgan, le Professeur n’avait guère fait parler de lui. Tant mieux, pensa Tania. La façon dont il avait signé la mort de Baugderis était effroyable. Peut-être s’était-il fait descendre par quelqu’un d’autre. Peut-être n’était-il pas si fort que ça, après tout. Ce serait une bonne chose pour Vasha, ça l’aiderait à rester en vie. Le Lièvre s’exposait à de grands dangers dans chaque secteur, parlait avec les soldats, interrogeait blessés, observateurs d’artillerie, mitrailleurs sur toute la longueur du front, examinait les cadavres, courait sous le feu ennemi à chaque instant dans le seul but de trouver ce professeur.
J’espère que le salopard de Berlin est déjà mort, pensa-t-elle.
Zaïtsev sursauta. Ses paupières battirent et il leva le menton comme pour le soulever au-dessus d’une vague montante. Sa respiration s’accéléra.
— Où… où… bredouilla-t-il.
Tania sentit les muscles de Zaïtsev se contracter. Elle secoua légèrement sa cuisse pour le réveiller.
Tiré de ce qui le troublait, Zaïtsev se détendit, ouvrit les yeux. Tania recula à croupetons afin de lui laisser de la place pour se redresser.
— Où étais-tu ? lui demanda-t-elle.
Il renifla et cligna les yeux, prit une profonde inspiration, tel un homme s’apprêtant à soulever un lourd fardeau.
— Combien j’ai dormi ?
— Une heure.
— Une heure ? Je t’avais dit…
— Tu en avais besoin. Tu étais épuisé.
Elle posa son fusil en travers de ses genoux, regarda le jour qui commençait à décliner. Zaïtsev se frotta le front.
— La prochaine fois, tu fais ce que je te dis.
Il renifla de nouveau, fit glisser son regard le long de la tranchée jusqu’à l’endroit où l’autre équipe, Shaïkine et Tchekov, était postée, à une centaine de mètres, et scrutait le visage raviné du Mamayev Kourgan.
— Du nouveau ?
Tania secoua la tête.
— C’était quoi, ton rêve ?
— Oh… euh… fit-il, pour rassembler ses souvenirs ou éviter de répondre.
Elle l’aiguillonna :
— Tu as dit « Cours ». Et « Trouve-moi ». À quoi tu rêvais, Vasha ?
Il passa une main sur son menton, fit crisser les poils de sa barbe sous sa paume.
— Quelqu’un me traquait. Dans la taïga. Un chasseur. J’avais pas d’armes, je… je fuyais comme un animal.
Tania hésita un instant puis, incapable de se retenir, prononça le nom pour lui :
— Thorvald ?
La main de Zaïtsev se figea.
C’était idiot, se reprocha-t-elle aussitôt, tendant le bras pour lui toucher la cuisse.
— C’était sûrement ton grand-père. Tu m’as raconté qu’il était le meilleur. D’ailleurs… (Elle retira sa main, secoua la tête.) Tu ne fuirais jamais devant Thorvald.
Il ne répondit pas, mais ses yeux révélaient qu’elle avait vu juste. C’était bien Thorvald. Le réticule du Professeur avait imprimé sa marque sur les rêves du Lièvre. Le duel à venir préoccupait Zaïtsev, l’effrayait, même, et elle l’avait contraint à montrer son jeu.
Une fois de plus, elle avait été impulsive et égoïste. Pas assez d’expérience avec les hommes, se dit-elle. Dans ce domaine, en tout cas. Ne froisse pas son orgueil, Tania. Tu peux connaître ses peurs sans le forcer à les clamer. Idiote.
— La nuit tombe, dit-elle pour meubler le silence et couvrir la bourde qu’elle venait de faire. Qu’est-ce que tu veux faire ?
Zaïtsev se redressa sur ses genoux, passa son sac à l’épaule.
— Allons-y, décida-t-il sans la regarder.
— Pars devant.
Il valait mieux le laisser seul un moment. Sans le vouloir, elle l’avait blessé. Qu’il marche seul devant en la maudissant à mi-voix. Elle réparerait cette nuit.
— Je vais avec Shaïkine et Tchekov, je te retrouve plus tard, suggéra-t-elle.
Elle le regarda prendre son fusil, le rappela au moment où il s’éloignait :
— Je te vois, ce soir ?
Il pivota. Ses yeux
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