La guerre des rats(1999)
de la ville afin de contrôler le secteur sud et le principal débarcadère des Russes, Krasnaya Sloboda. À la mi-octobre, la Soixante-deuxième Armée était coupée en deux.
La tête de pont soviétique la plus solide se trouvait dans les ruines du secteur industriel, cinq kilomètres au nord du centre. On envoya les Sibériens renforcer le 37 e régiment de la Garde qui défendait l’usine de tracteurs, la plus au nord des trois immenses fabriques.
Après un tir de barrage de trente-six heures, les Allemands attaquèrent l’usine à l’aube, le 5 octobre. Zaïtsev, enfoui dans les débris sous un essaim de balles, vit sa première équipe de tireurs d’élite. Petits, maigrichons, les deux hommes n’avaient rien du puissant guerrier, à première vue. Le casque du plus frêle, trop grand pour lui, lui couvrait les oreilles. Il le releva pour voir où il rampait. Les deux tireurs portaient sur leur dos des fusils à lunette.
Lorsque l’unité de Zaïtsev s’enfonça plus profondément dans les ruines pour se mettre à l’abri, les deux hommes continuèrent à ramper vers leur proie, comme des chasseurs.
5
Tania Tchernova se tenait sur la rive avec sa compagnie, cent cinquante soldats de la 284 e division. Devant elle, une péniche se balançait doucement à quai dans l’eau noire peu profonde.
De l’autre côté de la Volga, les flammes s’élevaient, dansaient dans la nuit. Des chasseurs-bombardiers allemands surgissaient des nuages, le ventre rougi par le brasier rugissant sous eux. Ils piquaient pour lâcher leurs bombes à basse altitude, moteurs hurlants, puis remontaient pour échapper aux tirs russes et à la fumée.
Tania regardait fixement la ville martyre. L’héroïque champ de bataille de Stalingrad, dont le nom était sur toutes les lèvres russes. Staline, le vozhd, chef suprême, avait été clair : « Tenez bon quoi qu’il en coûte dans cette apocalypse. »
L’unité de Tania comptait huit femmes, toutes en bottes et uniforme sans insigne. Elles ne portaient pas de fusil : opératrices radio ou infirmières de campagne, elles n’auraient pas besoin d’armes.
Sur la route du fleuve, Tania était passée devant une batterie de cent pièces d’artillerie servies par des femmes. Elle aurait pu demander à faire partie de ces jeunes filles russes armant les canons et les Katiouchas, ces redoutables batteries de missiles installées sur les plateaux de camions américains Ford. Mais Tania avait passé l’année à se battre avec la Résistance russe dans les forêts de Biélorussie et devant Moscou. Elle avait quitté les partisans un mois plus tôt pour venir à Stalingrad poursuivre sa vendetta contre les « bâtons » nazis. Elles ne parvenait pas à considérer les Allemands comme des êtres humains. Pour elles, ils étaient des morceaux de bois, des bâtons. Un homme n’aurait jamais fait ce qu’ils avaient fait sous ses yeux.
Au centre de son groupe, un général au crâne rasé achevait son discours.
— Les défenseurs de Stalingrad ont besoin d’aide pour repousser l’ennemi ! s’exclamat-il. Dans la partie nord de la ville, l’usine de tracteurs est soumise à un terrible assaut. Les soldats qui luttent dans ce bâtiment et dans tout Stalingrad ne reculent pas d’un pouce. Mais leurs vies, et celle de la Mère Russie, dépendent de l’arrivée de renforts !…
Agitant le poing au-dessus de sa tête, l’officier poussa un hourra. Tania et tout son groupe l’imitèrent. « Hourra ! Hourra ! » Les yeux de la jeune femme passèrent du général à la ville en flammes. La peur, pensa-t-elle. Elle se voit d’abord dans les yeux.
Chargée de vivres et de munitions, la péniche à quai attendait sa cargaison humaine. Quand le général cessa de haranguer la troupe, les gardes firent mettre les soldats en rangs pour embarquer.
Tania souleva son sac contenant du fromage, du pain et une bouteille de vodka offerts par des civils le long de la route. Un homme courtaud au ventre rond et dur gagna à grands pas le début de la queue, traversa la passerelle avec une agilité surprenante, sauta sur le pont. Tania reconnut en lui le commissaire Danilov, qui s’était adressé aux soldats sur la rive avant le discours du général. Il appela les hommes à le suivre, à « entrer dans l’histoire ».
Les premiers soldats embarquèrent, s’assirent sur le pont. Dans la file, les deux fantassins qui précédaient Tania, de jeunes garçons d’à peine dix-huit
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