La guerre des rats(1999)
chasseur de la Luftwaffe attaquant en piqué. Les flammes de la ville leur brûlaient le front comme une fièvre.
Quand ils furent au milieu du fleuve, un Stuka les survola en sifflant. Les soldats se raidirent, mais il n’y eut ni bombe ni balles. Le chasseur vira sèchement, grimpa pour éviter de passer au-dessus du brasier. Les hommes attendirent : y avait-il un autre avion derrière ? Au bout d’une minute, ils poussèrent un soupir collectif qui sembla issu d’un soufflet géant.
Les bateaux prenant l’eau se dirigeaient vers le débarcadère central. Aucun avion ne surgit de la nuit et Zaïtsev interpréta cette négligence de la Luftwaffe comme un mauvais signe : si les Allemands ne se souciaient même pas d’attaquer les renforts russes, c’était parce qu’ils étaient sûrs de prendre la ville.
À terre, la compagnie alla se blottir au pied des falaises. Au-dessus, la ville chancelait et craquait. Le fleuve clapotait contre les pierres, murmure de tranquillité dans la nuit, mensonge transparent de calme et de paix.
Avec l’aube, le courage revint. Aucun des marins ne voulait montrer sa peur ; chacun serrait les mâchoires, rejetait les épaules en arrière. La bravoure montait dans leur voix en même temps que le soleil et les bruits de la bataille.
Un messager couvert de suie remit des ordres au lieutenant Bolchochapov. Les Sibériens devaient longer le fleuve sur trois kilomètres vers le nord pour renforcer une autre compagnie bloquée dans l’usine de produits chimiques Lazur. Un alignement de réservoirs de carburant leur servirait de repère.
Après avoir marché une demi-heure dans le sable, Bolchochapov aperçut les réservoirs en haut de la falaise. Les Sibériens grimpèrent la pente, prirent position dans les décombres. À deux cents mètres d’eux, une compagnie russe se recroquevillait sous le tir des mortiers et des mitrailleuses ennemis.
L’unité de Zaïtsev se porta sur le flanc gauche allemand. Les nazis, surpris par les renforts, déployèrent leurs mitrailleuses pour faire face à la nouvelle menace.
Les Sibériens essuyèrent le feu ennemi et, pour la première fois, Zaïtsev entendit le sifflement de balles tirées sur lui. C’était le moment qu’il avait attendu dans un mélange de peur et d’impatience. Enfin l’ultime chasse. Les projectiles qui le frôlaient lui murmuraient avec la voix étouffée de son grand-père agenouillé près de lui dans la forêt : « Avance, Vasha. Rapide. Prudent. Silencieux. Va. »
Sans attendre les ordres, il se glissa parmi les débris du premier réservoir. Il voulait surprendre une cible avant que l’ennemi se mette à l’abri.
À une distance de cent cinquante mètres, il ouvrit le feu. Il abattit trois mitrailleurs avec ses trois premières balles. Une fois les engins réduits au silence, les marins sortirent de leur cachette et chargèrent en criant.
Un miaulement sifflant déchira la fumée. Avant que Zaïtsev ait eu le temps de réagir, un obus d’artillerie explosa derrière lui au milieu de ses camarades. Des hommes tombèrent, d’autres se jetèrent face contre terre pour se protéger. Zaïtsev se retourna, constata que l’un des réservoirs, bien que cabossé, n’avait pas été transpercé par les bombardements précédents. La question qu’il se posait — contenait-il encore du carburant ? — reçut une réponse avec la salve suivante.
La cuve explosa dans une déflagration assourdissante, projetant une boule de feu en l’air et sur les Sibériens. De l’essence enflammée tomba comme une pluie du nuage en forme de champignon. De petites langues de feu furieuses s’accrochèrent aux vêtements de Zaïtsev.
Il arracha son uniforme et son maillot de marin, son ceinturon. La peau roussie mais la tête claire, il se tapota les cheveux pour s’assurer qu’ils n’avaient pas pris feu.
Autour de lui ses amis gisaient, morts. Des essaims de flammèches tournoyaient autour de leurs cadavres enveloppés de fumée. Les Allemands continuaient à tirer.
Luttant contre un sentiment d’horreur, Zaïtsev inspecta le champ de bataille. Les Allemands réarmaient leurs mitrailleuses, les braquaient dans une autre direction. Les yeux pleurant dans la fumée, il se coucha, visa un nazi tenant une paire de jumelles, peut-être un officier dirigeant l’attaque. Les mains noircies du marin tremblaient. Il ne pouvait attendre que les battements de son cœur se calment et que son viseur se stabilise entre ses
Weitere Kostenlose Bücher