La guerre des rats(1999)
d’autre, vous voyez ce que je veux dire ?
Le capitaine entonna le chant du Parti nazi, le Horst Wessel Lied, et les soldats suivirent. Mercker fit signe au sapeur de recommencer à piocher. Pendant trois heures, les Allemands chantèrent. Chants folkloriques, chansons à boire, rengaines populaires et même airs d’opéra couvrirent le bruit des pioches creusant le béton. Quand Mercker ordonna à ses hommes de cesser de chanter, le tunnel avait disparu depuis longtemps sous le sol.
Nikki prit son tour et mania la pelle pendant une demi-heure pour sortir la terre du trou. La galerie avait deux mètres de large, un et demi de profondeur, et s’étendait maintenant sur cinq mètres sous le sol. Il y avait juste assez de place pour que deux hommes puissent s’y agenouiller côte à côte et piocher. Le plan consistait à creuser jusqu’à l’autre côté du couloir. Une fois sous la salle des Russes, les sapeurs placeraient les explosifs et allumeraient la mèche.
— Vingt kilos de dynamite, dit l’un d’eux, crachant sur la terre meuble du tunnel. Ça devrait les expédier au ciel, les bolchos.
Épuisé et sale, Nikki se laissa aller contre la paroi. Derrière lui, trois autres soldats évacuaient la terre. Comme les coups de pelle ne faisaient que peu de bruit, il n’était plus nécessaire de chanter. Mercker autorisa ses hommes à se reposer quelques heures avant d’offrir aux Russes un nouveau pot-pourri.
— Et pas d’opéra, surtout, leur recommanda-t-il. J’ai horreur de ça. Plutôt des chansons d’amour.
Mercker vint s’asseoir à côté de Nikki, lui offrit une cigarette et ferma les yeux. Le caporal trouvait que le jeune capitaine avait de l’humour et que c’était excellent pour le moral des hommes. C’était un bon chef, qui savait écouter et avait toujours des cigarettes dans les poches. Nikki espérait qu’il ne mourrait pas à Stalingrad et continuerait à détester l’opéra pendant de longues années.
De l’autre côté du couloir, le concert russe recommença.
— Bon Dieu, gémit Mercker sans ouvrir les yeux. Ils ne peuvent pas rester cinq minutes sans beugler ?
Soudain il ouvrit les yeux, se redressa.
— Non, ils ne peuvent pas.
Il saisit une pioche, la tendit à un soldat qui n’était pas encore couvert de terre.
— Descends ! Creuse ! Fini de se reposer, il faut se grouiller ! Ces salauds essaient de nous faire sauter, eux aussi !
Nikki laissa sa tête retomber contre le mur. Bien sûr, pensa-t-il. Et ils ont de l’avance sur nous. Deux heures, peut-être.
Tous les regards étaient maintenant braqués sur le trou. Nikki se représenta les hommes pelletant avec rage pour rattraper leur retard.
— Si les cocos s’arrêtent, vous vous mettez à chanter tout de suite, dit Mercker. Fort, compris ?
La course était lancée. Pendant une heure, les Allemands creusèrent accompagnés par le chœur russe puis reprirent leur propre concert quand les soldats soviétiques se turent. Dès que les camarades de Nikki s’interrompirent, les Russes recommencèrent à chanter.
Pendant toute la nuit, ce furent surtout les Allemands qui régalèrent les oreilles russes. Nikki en déduisit qu’ils comblaient en partie leur retard. On a même un harmonica, argua-t-il à sa propre intention. Les Russes n’en ont pas. Le trou rond d’où s’échappaient les lueurs des lampes, d’où remontaient des hommes noirs comme des démons, le fit penser aux portes de l’Enfer.
À l’aube, Mercker ressortit, le visage maculé de boue. Il avait l’air exténué. Il s’assit, fit signe à Nikki d’approcher et dit d’une voix faible :
— Les sapeurs pensent qu’on en a encore pour une heure à creuser. Ordonne aux hommes de reformer des groupes de dix. Avec le premier, tu t’empares de la tranchée. Tu y restes jusqu’à ce que j’aie fait sortir d’ici tous les autres.
Les hommes de Nikki récupérèrent leurs fusils, se dirigèrent vers les fenêtres. La sentinelle s’écarta pour laisser le caporal inspecter la rue jonchée de décombres. Il enjamba le rebord, fît signe aux soldats de le suivre. Un par un, ils sortirent, coururent vers la tranchée.
Les Russes cessèrent de chanter.
— Donne-leur un peu d’opéra, dit Nikki à la sentinelle avant de s’élancer à son tour.
Il était à dix mètres de la tranchée quand une vague rugissante déferla. Le sol se souleva. Nikki fut projeté en l’air par une force terrible, impitoyable.
Il atterrit sur le
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