La guerre des rats(1999)
C’était là qu’ils trouveraient des Russes. Nous pouvons y arriver avant l’aube si nous ne nous faisons pas prendre, pensa-t-elle. Mais si les Allemands se sont emparés du centre de la ville, il y aura sans doute des patrouilles le long des berges pour empêcher les infiltrations.
— Suivez-moi, murmura-t-elle. Direction nord.
Fedya se plaça derrière elle, Youri hésita.
— C’est quoi, déjà, ton nom ? demanda le vieux paysan.
— Première classe Tania Tchernova.
— Tania, je peux pas me laisser conduire par une fille. Pas même par une Américaine. Je marcherai devant.
Le visage de la jeune femme ne montra aucune réaction. Elle n’avait rien à prouver. Youri l’avait vue s’écarter, terrifiée, du cadavre flottant dans l’eau, mais il ignorait tout de la partisane qui avait tranché des dizaines de gorges, posé des mines sous un train de ravitaillement, marché parmi les ennemis blessés pour finir le travail au pistolet. Il n’avait pas vu la petite-fille du médecin étrangler un prisonnier après lui avoir arraché ses secrets, ou rester cachée toute une journée avant de tirer pour tuer un ennemi à trois cents mètres. Mais le vieil homme était là pour se battre contre les Allemands. Pour cette unique raison, elle s’efforcerait de le garder en vie. Qu’il meure au moins de façon utile et non stupide, pensa-t-elle.
— Youri, j’ai passé l’année chez les partisans. Je me suis battue dans les forêts de Biélorussie. Je connais les nazis, je sais comment nous tirer de là. Ou vous me suivez, ou je pars seule. (Elle se tourna vers Fedya.) Ça vaut aussi pour toi.
Elle se mit en route, entendit derrière elle une brève discussion à mi-voix puis les pas des deux hommes.
Après avoir progressé une heure en s’arrêtant au moindre bruit, ils prirent conscience qu’ils ne parviendraient pas aux usines avant l’aube. Tania chercha un endroit où ils pourraient se cacher et passer le reste de la journée en attendant la nuit.
Ils marchèrent une heure le long des falaises dans l’espoir d’y trouver une grotte ou un bunker abandonné. Avec les premières lueurs de l’aube, une odeur nauséabonde parvint à leurs narines. Tania plissa le nez, accéléra le pas. Un conduit apparut dans l’obscurité. D’un diamètre de deux mètres, il reliait le pied de la falaise au fleuve. Il s’échappait de sa bouche un air fétide et Tania eut l’impression que la puanteur lui traversait la peau.
— Une sortie d’égout, fit Fedya dans un hoquet.
Youri et Tania se regardèrent, hochèrent la tête.
Fedya recula avec un frisson de dégoût.
— Vous plaisantez ? Nous ne pouvons pas entrer là-dedans. C’est plein de merde ! Non, pas question !
Elle s’approcha de lui, porta ses doigts à ses lèvres.
— Nous n’avons pas le choix. Le jour va se lever.
— C’est que de la merde, Fedya, argua Youri. On en recouvre les champs tous les jours. Ça te fera pousser.
— Ça me fera vomir !
Tania tendit le bras vers le conduit.
— Là-dedans, personne ne nous verra. Allez.
Elle s’avança dans le tuyau, plaça son avant-bras sous son nez pour filtrer l’air avec sa manche. L’humidité poisseuse s’insinuait cependant dans ses narines, ses yeux, ses oreilles. Pardessus son épaule, elle regarda les deux autres. Bras croisés sur la poitrine, Youri se tenait droit comme un I, comme pour hisser son nez au-dessus des miasmes. Fedya avançait à pas lents, bras écartés, tel un funambule.
— Allez, Fedya, l’encouragea-t-elle. On ne fait que commencer.
À vingt mètres de la bouche du conduit, l’obscurité devint totale et Tania fit courir sa main sur la paroi visqueuse pour se guider. Elle sentit un courant d’air frais contre sa joue.
— Il y a une ouverture devant.
La main qui glissait le long du ciment se retrouva dans le vide. Un autre tuyau débouchait dans le conduit principal.
— On dirait qu’il remonte vers le nord. On marche jusqu’à ce qu’on trouve une plaque d’égout. Avec de la chance, on ressortira derrière nos lignes.
Elle frappa ses bottes l’une contre l’autre pour en faire tomber les excréments qui y étaient collés. Ses jambes de pantalon étaient mouillées jusqu’à l’entrecuisse. Derrière elle, Fedya progressait sans trop provoquer d’éclaboussures. Il devait se tenir sur la pointe des pieds, comme si on pouvait éviter de marcher sur de la merde dans un égout.
— Tania, cria Youri, parlenous de
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