La guerre des rats(1999)
tireurs étaient restés immobiles pendant des heures dans les combles des édifices dévastés. Pendant la première semaine de novembre, que les soldats avaient pris pour habitude d’appeler « les jours tranquilles », Nikki avait constaté la présence, de plus en plus mortelle, de tireurs isolés ennemis. Profitant des défaillances de la Luftwaffe et de la multiplication des petits accrochages, les assassins silencieux de l’Armée rouge s’étaient apparemment glissés dans toutes les crevasses du front.
Nikki avait plusieurs fois assisté à ce genre d’accrochage où, la situation étant bloquée, chaque camp réclamait des renforts et des armes plus lourdes. Si, pour une raison ou pour une autre, ils n’en obtenaient pas, la fureur retombait, les morts étaient abandonnés là où ils étaient tombés. Les blessés se traînaient à couvert et attendaient la nuit, n’osant pas appeler à l’aide de peur que des tireurs cachés sur les toits ou qu’un Ruskoff rampant dans les décombres ne les achèvent. Pendant les « jours tranquilles », on fit peu de prisonniers.
La morne succession de pertes et de reprises d’une rue, d’une ruelle, d’un bâtiment était devenue pour les combattants des deux camps la vraie bataille de Stalingrad. Les grandes opérations de septembre et octobre pour enlever la mince poche russe le long de la rive avaient fait place à des affrontements éclatés et locaux n’engageant qu’une compagnie, chaque camp tentant d’améliorer sa position mètre par mètre. Le siège de la ville était devenu un affreux bourbier qui ne permettait qu’une avance lente et tortueuse.
Les deux armées s’étaient enterrées. Les caves, les égouts, les tunnels, et un réseau apparemment interminable de tranchées peu profondes appelé « le parcours du rat », écorchures sur la peau gelée de la ville, définissaient maintenant les contours du champ de bataille sous un ciel d’hiver annonçant la neige. Les fantassins de la Wehrmacht appelaient cela le Rattenkrieg. La « guerre des rats ».
Nikki baissa ses jumelles pour prendre rapidement des notes dans son carnet. C’était sa nouvelle affectation : observateur avancé, rattaché aux services de renseignements allemands. Il avait pour mission d’observer les combats d’infanterie sur le front, de faire un rapport sur la tactique suivie et les pertes.
Après que le capitaine Mercker et son unité eurent été ensevelis sous les gravats, Nikki avait mené ses neuf camarades rescapés à un poste de commandement avancé où il avait fait la connaissance d’un jeune lieutenant exalté, Karl Ostarhild. Le caporal avait rapporté le désastre pendant que l’officier lui servait une tasse de café. Ostarhild avait déplié une carte devant Mond pour que celui-ci lui montre l’emplacement du bâtiment effondré où Mercker et sa compagnie avaient trouvé la mort. Penché en avant, Nikki avait indiqué ce qu’il savait des positions soviétiques, leurs points forts et leurs faiblesses. Le lieutenant avait été impressionné non seulement par l’étendue des informations du caporal, mais aussi par les circonstances particulièrement dures pendant lesquelles il les avait glanées. Il lui avait demandé de rester sous ses ordres comme observateur des services de renseignements, et Nikki avait accepté.
Depuis, le caporal suivait le grondement des chars et le staccato des armes automatiques à travers Stalingrad. Lui-même n’avait pas tiré un coup de feu ni lancé une grenade en douze jours. Il ne portait même plus son fusil.
Les informations qu’Ostarhild recevait l’inquiétaient de plus en plus. Après des semaines passées à compiler les données fournies par les avions de reconnaissance, les observateurs sur le terrain, les prisonniers interrogés, les messages radio interceptés, il était certain que les Russes préparaient une opération d’envergure. Il ne savait pas quoi, mais tous les signes indiquaient quelque chose de gigantesque.
La veille, le 7 novembre, à Goloubinka, à sept kilomètres à l’ouest, dans la sécurité de la steppe, Ostarhild avait présenté les faits, assortis de premières conclusions, à ses supérieurs. Il avait exposé les rapports faisant état d’un rassemblement massif d’hommes et de matériel dans la région de Kletskaya, au nord. Selon lui, il pouvait s’agir d’une force russe mobile et puissamment armée s’apprêtant à lancer une contre-offensive. Il avait
Weitere Kostenlose Bücher